Présent
Martin Schwa
Un « jeune » marseillais lanceur de chat a été condamné à un an de prison ferme le 3 février. Farid avait jeté Oscar, un chaton roux et blanc, à plusieurs reprises. Dans un arbre, contre un mur. Un ami le filmait, sur fond de musique rap. Ça riait. « Oh l’bâtard ! » Casquette, survêtement, toute une culture… « Je me promenais dans le quartier avec un jeune, on marchait dans la rue. J’ai vu le chat, il venait vers moi, ça m’est venu comme ça, je n’ai pas réfléchi. » Farid, 24 ans, toutes ses dents mais pas une flèche, a pris cher en raison de son casier judiciaire : il avait déjà été condamné huit fois et incarcéré, notamment pour des faits de violence qui n’avaient pas autant remué les consciences. Le journal La Provence résume Farid avec un tact notable : « Le jeune homme présente un profil troublé. »
Si encore il avait prétendu être un plasticien des cités ! Lancer des chats dans un escalier fut, en son temps, une « création » de Jan Fabre. Elle suscita la réprobation (cf. Présent du 6 novembre 2012) mais, que je sache, Fabre n’a pas été condamné. Fabre se prétendit victime de « l’extrême droite ». L’avocate de Farid a avancé l’explication sociologique, parlant de « deux jeunes désœuvrés, d’une famille déstabilisée » et le propriétaire du chat, Majid – même survêtement et même culture, – a plaidé lui aussi l’atmosphère des cités pour expliquer le geste cruel. Je croyais qu’il faisait bon vivre ensemble ?
Un ami des chats
Champfleury (1821-1889), défenseur de Courbet et pourfendeur des Goncourt, spécialiste de la faïence, a relancé les études sur les frères Le Nain, Laonnois comme lui. Son livre sur les chats lui a conquis jusqu’à nos jours une audience plus large. Les Chats : histoire, mœurs, observations, anecdotes est paru en 1869 et a connu le bonheur de la réédition multiple. Editions populaires, édition de luxe en 1870, mais toujours illustrées, avec des dessins de Delacroix, de Manet, de Hokusai…
Champfleury ne pouvait imaginer, au moment où il disposait cet aimable fouillis de notes de lecture et d’observations, – on est davantage chez Pline l’Ancien que chez Buffon, – il ne pouvait imaginer que, peu de temps après, le chat figurerait au menu d’une population parisienne assiégée.
Ne s’embarrassant pas de prétentions savantes, Champfleury est un bon écrivain, non dénué d’humour (ce qui n’était pas le cas de tous les romanciers réalistes). « De l’atelier des alchimistes, le chat a passé chez les écrivains ; il fait partie de leur modeste intérieur, et il offre ceci de particulier avec les gens de lettres, qu’il a presque autant de détracteurs que si, lui-même, chat, écrivait. » Clin d’œil à une haute personnalité féline du romantisme allemand, le chat Murr ?
« Les maniaques qui cherchent le mouvement perpétuel n’ont qu’à regarder un petit chat », écrit-il encore.
Mitous et minous
Un chapitre traite des « ennemis des chats au Moyen Age ». Champfleury n’évite pas le lieu commun qui voudrait que les chats aient été diabolisés et pourchassés au Moyen Age. D’abord, que signifie Moyen Age ? Une si longue période de persécution aurait vu la disparition totale du chat en Europe. Un autre ouvrage, Chats du Moyen Age, par Kathleen Walker-Meikle, dont la traduction vient de paraître, donne une vue plus nuancée. Les images et les exemples parlent d’eux-mêmes.
Il y eut bien des chats lancés dans les feux de la Saint-Jean, dans certaines villes, ou du haut d’une tour à Ypres pour le deuxième mercredi de Carême. Cela ne fut pas proprement médiéval, ces festivités douteuses se prolongèrent bien au-delà. Le chat pouvait être victime, également, des vendeurs de peaux. L’association du chat et de la sorcière existait, mais dans les contes plus que dans la réalité.
Tout cela compte peu au regard de la familiarité manifeste du chat.
Il a été toléré qu’un moine puisse posséder un chat, mais c’était trop de risque d’attachement. Le chat, plus souvent, appartenait à la communauté. Dans une marge du livre de comptes de l’abbaye de Beaulieu (vers 1270), le scribe a dessiné le chat de la communauté et inscrit son nom : Mite (l’ancien français, à côté du mot chat, utilisait les mots mitou, mitouin, mitonner…– du latin mitis, doux, tendre, cf. le mot chattemite).
Entre 1305 et 1467, la nourriture des chats de la cathédrale d’Exeter apparaît dans les comptes de la fabrique. Custoribus et cato : « pour les gardiens et le chat ». Celui-ci recevait donc une pâtée quotidienne en plus des souris pour lesquelles sa présence officielle était requise.
Des chats partout
De vieux textes juridiques irlandais donnent des indications qui révèlent la valeur financière et affective du chat. « Un chat vaut trois vaches s’il sait ronronner et attraper les souris. » S’il sait seulement ronronner, sa valeur tombe à une vache et demie. On connaît aussi par ces textes des noms de chat : Petit Miaou, Petites Pattes, Petite Flamme, Gris ortie. Voilà qui est loin de sentir la diabolisation.
Même constat dans les manuscrits. Marges, lettrines, le chat est partout, jusqu’en pleine page : il assiste à la Cène, à l’Annonciation, etc. Un petit chat gris est aux côtés de saint Marc qui écrit son évangile. Un autre regarde sa maîtresse qui apprête la table pour le dîner. Un gros matou réchauffe le berceau de saint Jean-Baptiste qui vient de naître. Le chat ? Au pire, un bon petit diable.
• Champfleury, Les Chats, éditions Chêne, 290 pages, 18 euros.
• Kathleen Walker-Meikle, Chats du Moyen Age, Les Belles Lettres. 100 pages largement illustrées, 13,50 euros.
Pour les amis des chiens, elle vient de publier un Medieval Dogs, pas encore traduit, disponible à la librairie du musée de Cluny.