Cette maladie commence par un brutal accès de jalousie, puis une boule dans la gorge qui descend dans l’estomac, noue vos entrailles. Vous vous sentez diminué, triste, inutile. Enfin, vous plongez dans l’abattement, irrité contre tout le monde et en particulier, contre vous-même. C’est la nouvelle épidémie de « fomo ».
Peur de manquer quelque chose
Fomo vient de l’anglais «fear of missing out ». Cela veut dire en français « peur de manquer quelque chose ». Pas manquer de quelque chose. Manquer quelque chose, dans le sens de rater un événement, une invitation, une information. Le fomo est provoqué par la vie « complètement fabuleuse » des autres qui s’étale sur Facebook, Twitter, Instagram, les blogs et Internet, et qui contraste brutalement avec les frustrations, les souffrances, les échecs de votre propre vie.
Par exemple : vous cuisinez tranquillement des pâtes chez vous. Déjà vous salivez sur ce comté que vous allez faire fondre dedans, avec une généreuse louche de bolonaise. Votre smartphone vibre. D’un œil, vous consultez votre écran Facebook. Trois de vos amis sont en train d’arriver à un concert. Sur la photo ils sont hilares, bras dessus, bras dessous, et manifestement fous de joie. Aussitôt, une autre photo apparaît : c’est Jacques et Marie-Odile qui viennent d’arriver dans un hôtel de rêve, en Malaisie.
Vos pâtes et votre comté sont toujours là. Mais ils n’ont plus la même saveur. Vous vous demandez si vous avez fait le bon choix d’être rentré chez vous pour préparer à dîner. Pourquoi n’êtes-vous pas sorti ? Pourquoi n’avez-vous pas été invité ? Pourquoi les autres s’amusent-ils autant ?
La maladie de la comparaison avec les autres
La personne malade de fomo juge son existence morne, sans intérêt, et ne peut s’empêcher de consulter fébrilement son smartphone pour suivre la vie des autres et comparer avec la sienne. Car les « autres » justement, semblent faire des efforts inouïs pour prouver en permanence que leur vie est géniale par une « forme de surenchère » : « Il s’agit de livrer régulièrement à ses amis la version augmentée de sa petite existence. Cette dernière est donc dorénavant obligatoirement jalonnée, via des photos radieuses, de vacances inoubliables, de baisers sur la plage, d’enfants parfaits, de fêtes mémorables, de cadeaux insensés, de cupcakes inouïs, de chatons adorables, de spas de folie… selon les standards lifestyle de chacun. Tout en censurant pudiquement le reste, plus médiocre, évidemment. »
Comment faire face, comment résister ?
Fermer son compte Facebook ? Se couper d’Internet ? Jeter smartphone et ordinateur à la poubelle ? Cela paraît extrême, pour ne pas dire absurde. Faut-il arrêter de se comparer ? Arrêter d’envier les autres ? Arrêter d’être triste et seul quand les autres s’amusent ? Mais ces sentiments ne se décident pas ! Ils vous tombent dessus et puis c’est tout ! Et plus on lutte contre eux, plus ils reviennent en force, comme les envies de chocolat. Faut-il exiger des autres qu’ils arrêtent d’enjoliver leur existence ? Qu’ils arrêtent de faire semblant d’être tout le temps heureux, d’aller de fête en fête, et de succès en réussites ? De nous envoyer constamment des images de leur bonheur à la figure ?
Imaginez un autre Facebook. Au lieu d’essayer d’enjoliver leur existence, les gens essaieraient de montrer leur vie telle qu’elle est.
Votre page Facebook serait une succession de photos de vos amis :
en pyjama au petit matin, avant d’avoir fait leur toilette, de s’être rasé ou maquillé
s’ennuyant dans une file d’attente à la poste
assis dans un bureau, avec une plante verte et des néons
poussant leur caddie sur un parking de supermarché
passant l’aspirateur dans leur appartement
conduisant sur une autoroute pluvieuse en rase campagne
perdu dans les rayons de Castorama à la recherche d’un rideau de douche au bon format
épluchant des pommes de terre
remplissant leur déclaration d’impôts.
Mais quel serait l’intérêt de vouloir à tout prix étaler la monotonie de notre train-train quotidien sur Internet ? Sachant que, déjà, ce qui est publié est à 99 % sans intérêt, malgré le tri intense qui est fait par les intéressés pour essayer de publier des choses valorisantes ? Facebook, les blogs, Instagram, c’est comme les albums photos qui existaient jadis dans nos familles : vous n’y colliez pas des photos sans intérêt, moches ou vulgaires. Il y avait le grand-père, en grand uniforme de la Première Guerre mondiale. Des photos de baptême, de communion, de mariage. Des photos de famille où tout le monde est bien habillé, bien peigné, et essaye de faire son plus beau sourire. Des photos de parties de campagnes, de vacances en tandem, à la mer ou au camping.
Facebook n’est pas un moyen de mettre sur la place publique votre vraie vie, vos sentiments profonds, vos échecs et vos douleurs. Ces choses là ne peuvent être partagées sur Facebook. Certains essayent mais ça ne marche pas. Cela donne souvent quelque chose de triste, parfois impudique. Les choses personnelles ne peuvent se confier que dans l’intimité, à votre meilleur ami, à votre compagne ou compagnon d’infortune, à vos petits-enfants pour qu’ils profitent de votre expérience.
Facebook c’est pour s’amuser, se distraire, s’informer.. Mais imaginer que les gens postent leur vraie vie sur Facebook, c’est comme croire qu’on est ami avec Pujadas parce qu’on le voit tous les soirs à 20 heures ou que les actrices de « Downtown Abbey » sont aussi élégantes et bien habillées dans la vraie vie.
En fait, vous n’êtes absolument pas menacé par le «fomo». Parce que vous avez lu cet article, ce qui prouve que vous vous posez les bonnes questions. Cela fait donc déjà une maladie dont vous n’avez pas à vous soucier. Tant mieux et bravo. Mais au cas où… n’oubliez pas d’aider les autres !