On connaît la thèse qui soutient ce petit ouvrage écrit par J. de Maistre en 1797 : la Révolution française a été voulue par Dieu pour punir la France et les Français de leur tiédeur. Les massacres et les horreurs qui l’ont suivie ne sont que les conséquences funestes d’un péché autrement plus grave, celui d’avoir abandonné Dieu. Seul un virage moral et spirituel pourrait permettre d’engager une contre-révolution.
Partant de cette thèse, de Maistre se livre à une analyse souvent juste et pertinente de la situation née de la Révolution. Par exemple, il comprend immédiatement ce que signifie le gouvernement par représentation, dans lequel chaque député, loin d’être le représentant de ceux qui l’ont élu, est un représentant de la nation, « grand mot infiniment commode », écrit-il, « parce qu’on en fait ce qu’on veut ». C’est que J. de Maistre a bien saisi le caractère idéologique de l’événement. Ainsi met-il en avant le rôle délétère joué par les philosophes du XVIIIe siècle : « La philosophie ayant rongé le ciment qui unissait les hommes, il n’y a plus d’agrégations morales. » Pareillement, lorsqu’il considère la Déclaration des droits de l’homme, il écrit : « La Constitution de 1795, tout comme ses aînées, est faite pour l’homme. Or, il n’y a point d’homme dans le monde. J’ai vu, dans ma vie, des Français, des Italiens, des Russes, etc. ; je sais même, grâce à Montesquieu, qu’on peut être Persan : mais quant à l’homme, je déclare ne l’avoir rencontré de ma vie ; s’il existe, c’est bien à mon insu. » Ces lignes sont d’une remarquable modernité, qui plus est lorsque l’on sait la date à laquelle elles furent écrites, sans le recul que nous avons aujourd’hui. La politique de J. de Maistre se fonde par conséquent sur la réalité et non sur les idées toutes faites.
Malgré tout, la pensée de J. de Maistre souffre d’une carence : alors qu’il identifie le rôle joué par la Providence dans l’avènement de la Révolution, l’auteur affirme à temps et à contretemps que la République ne saurait durer et que Louis XVIII sera bientôt rappelé sur le trône. Nous pensons qu’il commet deux erreurs graves. La première est que, alors qu’il a bien identifié le caractère idéologique des doctrines qui ont donné naissance à la république, il ne prend pas conscience de la nature réelle de la Révolution. Cette dernière n’a pas seulement consisté à substituer un nouvel ordre des choses à un ordre ancien qu’elle a détruit. La Révolution n’est jamais achevée. La république n’est qu’un avatar de la Révolution, et non sa fin. La deuxième, c’est qu’il n’applique pas la logique providentielle jusqu’au bout. Si Dieu est la fin de l’Histoire, alors de Maistre aurait dû comprendre, comme Bossuet avant lui, que la chute des empires et des puissances est une leçon donnée aux hommes sur la vanité de ce monde.
Maxime Valérien – Présent
- Joseph de Maistre, Considérations sur la France, Bartillat, Omnia poche, 2017, 12 euros.