Je trouve fascinante l’idée de s’en remettre à un vieux monsieur de 88 ans pour tracer les grandes lignes de ce que devrait être le Code du travail modernisé d’une grande nation supposée regarder vers l’avenir. Robert Badinter est, de son vivant, statufié comme la conscience juridique de la France, la référence absolue en matière de droit, l’incarnation de Désiré Dalloz, le point vernal autour duquel gravite la planète France. Bref, comme on dit, il « fait autorité », quel que soit le domaine. Il s’est bien un peu pris les pieds dans le tapis en défendant mordicus, à la télévision, l’honneur sali de son ami Strauss-Kahn, menotté à New York, pantalon sur les chevilles, mais il est pardonnable : à 83 ans, on peut avoir des trous de mémoire et des indulgences.
Son heure de gloire provient de son ardent plaidoyer contre la peine de mort (septembre 1981), ayant abouti à la loi d’abolition. Ce combat gagné a fait du désormais célèbre avocat-ministre une sommité nationale et une star internationale : on ne compte plus les universités étrangères qui l’ont honoré du titre de docteur honoris causa.
C’est sans doute en fonction de cette aura que l’homme a été choisi par le Premier ministre pour préparer et présenter un rapport sur la réforme du Code du travail. En guise de tour de chauffe, il a commis, il y a peu, un ouvrage sérieux sur le sujet, rédigé en collaboration avec un autre juriste de grand renom, spécialiste, lui, du droit du travail, Antoine Lyon-Caen.
Le très sérieux Monde diplomatique nous met en garde : « Selon le FMI, et contrairement à ce que les idéologues du laisser-faire prétendent, la réglementation du marché du travail n’a pas d’effets statistiquement significatifs sur la productivité et donc sur les performances économiques et l’emploi. »
Bigre ! Alors pourquoi ce remue-méninges ? Pourquoi nous dit-on que la touffeur de ce gros code obèse est, en soi, répulsive et « stagnifère » ? Pourquoi faire intervenir l’as des as sur un sujet dont on nous dit d’avance que le résultat ne servira à rien. Et pourtant, ils sont nombreux à enfourcher le dada de la réforme du Code du travail : Terra Nova avec « Réformer le droit du travail », l’Institut Montaigne avec « Sauver le dialogue social », le rapport Combrexelle sur « La négociation collective, le travail et l’emploi ». Si, avec tant de bonnes fées de gauche penchées sur son grabat, le vieux bouquin, requinqué et sexy, ne tracte pas, dans son sillage de hors-bord, des millions de chômeurs aujourd’hui abandonnés, c’est à désespérer.
Mais la question demeure : pourquoi « mouiller » Robert Badinter dans cette galère ? Quelle pilule faut-il faire passer ? « Réformette », clame l’opposition. « Révolution », corrige le Premier ministre. Tout ce que l’on croit savoir, c’est que le rapport fixera 61 grands principes intangibles. Une telle forêt de « grands principes » cacherait-elle l’arbre de l’immobilisme ? Nous verrons bien. Un point, cependant, rend perplexe : si l’âge de la retraite est repoussé au-delà de 88 ans, on n’est pas près d’endiguer le chômage.