Vous ne le saviez pas mais, depuis 1966, que vous soyez catholique ou protestant, vous priiez, je ne dirais pas dans le péché, mais dans un contresens absolu, en récitant le Notre Père. Enfin, lorsque vous aviez choisi de prier en français, et non pas en latin. Le et ne nos inducas in tentationem avait été traduit dans le missel de 1966 par un très provocateur et ne nous soumets pas à la tentation.
Car n’était-ce pas provoquer le Seigneur que de l’accuser, en quelque sorte, de nous soumettre à la tentation, c’est-à-dire de nous faire subir des tentations pratiquement sur son ordre ?
Eh bien, à partir du 3 décembre, les évêques francophones vont, à travers le monde entier, nous inviter à cette nouvelle formule : « Et ne nous laisse pas entrer en tentation. » La traduction du verbe inducere donne plusieurs possibilités : badigeonner, enduire, faire entrer, conduire dans, etc. Les traditionalistes garderont leur propre traduction : « Ne nous laissez pas succomber à la tentation. »
Avouons que cela était plus raisonnable. Dieu ne peut favoriser le mal, même s’il donne à l’homme toute possibilité de le faire.
Daniel Raffard de Brienne nous l’explique d’ailleurs fort bien : « Il n’y a plus d’exégèse possible, aucune échappatoire, car “soumettre” n’équivaut pas à “inducere”, induire. Induire, c’est “conduire vers” ; Satan peut nous conduire vers la tentation si Dieu ne s’y oppose pas. Soumettre, c’est “placer sous”, c’est réduire à l’obéissance ; Satan ne peut pas soumettre nos âmes au mal ni à la tentation qui les y amène ; pas même en cas de possession. Pour le texte imposé, Dieu ne se contente donc pas de laisser Satan nous tenter en raison de nos fautes et pour nous mettre à l’épreuve : il nous soumet lui-même à la tentation. »
Mais voilà, l’Église catholique francophone et l’Église protestante unie de France (EPUdF) ont fait le choix de cette traduction. L’EPUdF, qui rassemble réformés et luthériens, avait en effet approuvé le « nouveau » Notre Père lors de son synode du printemps 2016. Les protestants font donc un pas important vers l’unité des Églises chrétiennes puisqu’ils priaient Dieu de ne pas les induire en tentation selon la traduction biblique de Louis Segond. Passer d’« induire » à « entrer sans succomber à la tentation », c’est un bouleversement sémantique d’importance, non ?
L’ambiguïté est ainsi levée sur ce sixième verset de la plus populaire prière chrétienne, celle-là même que le Christ a enseignée à ses apôtres et que l’on retrouve dans les Évangiles de Luc et de Matthieu. Ainsi, nos évêques reviennent à un Créateur plus protecteur, et non poussant ses fidèles à commettre le péché. Mais cette nouvelle version n’est pas si nouvelle que vous pouvez le croire. Depuis le XIIe siècle, le Notre Père, dans sa traduction française, priait Dieu de ne pas nous mener en tentation. Il a fallu attendre la bible catholique de Lemaistre de Sacy, au XVIIe siècle, pour réciter la prière en vigueur jusqu’au concile de Vatican II.
Personnellement, j’aime beaucoup l’interprétation du créole haïtien délivre nou ana Satan. Lequel Satan se retrouve en malfaisant dans la traduction du théologien protestant Louis Pernot.
La feuille d’infos de la paroisse Sainte-Cécile à Boulogne-Billancourt nous rassure sur l’ineptie que nous a fait commettre l’Église depuis 1966 : « Dieu ne tente personne ! En cas de doute, l’épître de saint Jacques le rappelle vigoureusement : Que nul, quand il est tenté, ne dise “Ma tentation vient de Dieu”, car Dieu ne peut être tenté de faire le mal et ne tente personne. » Nous voilà rassurés !
Floris de Bonneville – Boulevard Voltaire