En France, certains mots sont un repoussoir. Ainsi du « conservatisme » dont peu, à droite, se réclament. Le terme serait moisi ou sentirait trop son bourgeois : « conservateur de soi-même », dirait Bernanos.
Roger Scruton, lui, n’a pas peur. Né en 1944, fils d’un instituteur travailliste, il a lutté toute sa vie contre le progressisme. Professeur de philosophie dans les plus grandes universités anglo-saxonnes, il a traversé « les années sombres de la décennie 1970 », affronté le règne intellectuel de la « Nouvelle Gauche » (New Left) et nourri, à travers une quarantaine d’ouvrages, une pensée conservatrice assumée.
Figure intellectuelle incontournable en Angleterre, son œuvre (jamais traduite en français) était inconnue de nos compatriotes… Une infamie réparée par Laetitia Strauch-Bonart. Auteur cette année d’un ouvrage publié aux éditions du Cerf (Vous avez dit conservateur ?), cette normalienne a traduit How to be a Conservative de Roger Scruton. Cela donne la parution, aux éditions de l’Artilleur, d’un volume intitulé De l’urgence d’être conservateur.
Le lecteur français découvre ainsi un univers où l’héritage et la tradition ne sont pas des gros mots. Nourri au lait d’Edmund Burke, Scruton récuse les théories du contrat social, mythe fondateur de la modernité ; avec l’auteur des Réflexions sur la Révolution de France, il communie en s’exclamant que « La société en effet est un contrat (…) mais entre les vivants, les morts et les générations à venir. » Tout est là. En une douzaine de chapitres, Roger Scruton sculpte un monument en hommage à la civilisation occidentale, avec une prédilection naturelle pour la tradition britannique. Penseur de la communauté, Scruton fait l’éloge de notions désuètes : honneur, civilité, loyauté, sentiment d’appartenance, coutumes. Et de s’attarder, par exemple, sur le rôle bénéfique des « contes nationaux » illuminant l’inconscient des peuples. Sa critique de l’UE n’étonnera guère, en cette année de Brexit.
Ennemi du socialisme, Roger Scruton reproche les « mensonges » du travaillisme et les impostures de l’Etat-Providence, tout-puissant dans l’Angleterre d’après-guerre (1945-1979). Il reproche surtout à la gauche son multiculturalisme, cet amour de l’autre au mépris de la culture occidentale. Il y voit une faute majeure.
Que l’on ne se méprenne pas : notre homme n’est pas non plus thatchérien, et sa pensée n’épouse pas la feuille de route du Parti tory. Le philosophe honnit le libre-échangisme défendu par la Dame de fer et se désole, in fine, de ses lacunes en philosophie politique.
Car ce à quoi appelle Scruton, au fond, c’est à un réveil affectif et intellectuel, un retour à la nation, une réactivation incandescente de nos attachements vitaux et de nos souvenirs, à travers la poursuite d’une ressource essentielle de la civilisation occidentale : le beau.
Tugdual Fréhel – Présent
Roger Scruton, De l’urgence d’être conservateur, trad. de l’anglais par L. Strauch-Bonart, éd. L’Artilleur, 2016, 288 pages.