Avec The Search, Michel Hazanavicius (The Artist, OSS 117) s’est plongé dans la seconde guerre de Tchétchénie et son cortège d’horreurs, pour fixer sur la pellicule et par le biais de la fiction un conflit qui a laissé le monde indifférent.
Une des inspirations du cinéaste a été le long métrage de Fred Zimmermann, Les Anges marqués, sorti en 1948 et se déroulant dans une Allemagne vaincue et détruite. La caméra d’Hazanavicius reste ici au plus près des personnages, poignants, comme celui du garçonnet Hadji ou du soldat Kolia.
Présenté en sélection officielle à Cannes, le film avait été reçu tièdement. Mais les reporters qui ont couvert cette guerre ont salué la justesse du long-métrage, très fidèle selon eux à la réalité de ce qu’ils ont vécu.
Pourquoi avez-vous choisi de traiter le conflit tchétchène ?
Michel Hazanavicius: Ce choix n’est pas anodin. Je ne me sens pas obligé de faire tout le temps rire. J’ai une empathie pour ces gens qui ont non seulement perdu la guerre mais ont aussi été maltraités par l’Histoire. En France, beaucoup pensent encore que les Tchétchènes sont tous de dangereux terroristes. Le conflit a été balayé à une vitesse hallucinante, ce qui est d’autant plus grave que la situation actuelle y fait écho. Ce qui s’est passé là-bas est un peu la matrice des événements en Géorgie puis aujourd’hui de ceux qui se déroulent en Ukraine.
Peut-on parler d’un cinéma engagé ?
Michel Hazanavicius: Je ne renie pas le côté politique du film mais il y a des choses que j’ai décidé de ne pas montrer délibérément dans l’idée de garder une dimension populaire. Je ne fais pas de film radicaux ou expérimentaux, je ne voulais pas explorer la violence et sa représentation. J’ai mis de côté certains récits de mauvais traitements subis par les soldats russes au sein même de l’armée ou les exactions sur les populations tchétchènes. Il n’y a pas de violence graphique, elle est plus insidieuse. J’ai délibérément refusé de montrer certaines choses.
Vous vous êtes intéressé au génocide rwandais avant de choisir la Tchétchénie comme toile de fond…
Michel Hazanavicius: J’ai trouvé qu’il y avait une absence de pathos similaire dans la manière dont les gens qui avaient vécu ces conflits, décidaient de le raconter. Le pathos appartient plutôt aux observateurs. Il n’y a pas forcément de similitudes mais on retrouve aussi ce sentiment d’oubli total. L’indifférence de la communauté internationale est une constante. Cette incapacité à réagir et à éviter des événements atroces.
Ce n’est pas moi qui vais trouver le mode de fonctionnement idéal des institutions. Je sais qu’avant chaque intervention, il y a une vraie complexité: appréhender la situation, connaître les détails du contexte. Je constate qu’il est très compliqué de s’engager et qu’une sorte de lourdeur administrative les paralyse. L’inertie n’est pas non plus une bonne solution.
Est-ce que vous avez été influencé par des œuvres en particulier ?
Michel Hazanavicius: Ce sont surtout les documentaires qui m’ont aidé, notamment celui d’un réalisateur français Florent Marcie, qui s’appelle Les fils de l’Itchkérie. Il réunit des images d’archives du premier conflit. J’ai vu beaucoup de reportages, même ceux tournés par les Russes. D’un point de vue de fiction, je me suis laissé porter par un film halluciné, Requiem pour un massacre qui raconte l’absurdité de la guerre.
J’ai essayé d’être le plus humain dans le traitement des personnages. Je ne voulais pas que l’européenne jouée par Bérénice Bejo prenne le pas sur les autres. Dans ce genre de film, c’est souvent l’occidental qui a la place la plus importante ou la plus intéressante. Il me semble que dans un conflit, les gens qui ont les histoires les plus fortes sont ceux qui l’ont vécu, les Tchétchènes ou les Russes.
Comment vous avez réagi après la réception du film à Cannes ?
Michel Hazanavicius: Ce film n’est pas anodin donc j’étais un peu K.O. C’était ma première réaction, ensuite, vous ne restez pas indéfiniment dans cet état là, vous rationalisez et vous vous remettez au travail. J’ai profité du fait que le film ne sortait pas dans la foulée du festival pour prendre le temps de le remonter. On peut toujours accuser les critiques mais je pense l’avoir amélioré et, au final, qu’il est meilleur que ce qu’il était à Cannes.
L’histoire
Plutôt que de situer l’action sur le front, le cinéaste a choisi de suivre les destins de quatre personnages que le conflit va amener à se croiser. Il y a d’abord Hadji, garçon de neuf ans qui a vu ses parents se faire massacrer et fuit son village, son petit frère dans les bras, pensant qu’il n’y pas d’autre rescapé dans sa famille. En réalité Raïssa, sa grande soeur, a échappé à la tuerie. Trouvant la maison vide, elle part à son tour sur les routes de l’exode en quête de ses frères (“The search” signifie +La quête+). De son côté, à des milliers de kilomètres de là, Kolia, jeune Russe de 19 ans, est enrôlé presque de force dans une armée qui va progressivement le déshumaniser. Carole (Bérénice Béjo), chargée de mission pour l’Union européenne, est convaincue que les idées peuvent l’emporter sur l’administration, et veut adopter Hadji, qu’elle recueille à la frontière où s’entassent les réfugiés. A la naïveté de la jeune femme s’oppose la colère de Helen (Annette Benning), responsable de la Croix-Rouge et exaspérée par l’indifférence de l’Occident.