La mémoire très sélective de Madame Taubira!

Alors que Christiane Taubira a réagi à l’affaire Ferguson par des tweets indignés, André Bercoff* s’étonne que la garde des Sceaux commente à chaud une décision de justice prise dans un pays étranger.

Donc, notre flamboyante gardienne des Sceaux envoie des tweets indignés – en anglais comme en français – pour dénoncer le déni de Justice que constituerait l’absence de poursuites à l’encontre du policier blanc de Ferguson, qui a tué un jeune homme noir désarmé. A première vue, comment ne pas lui donner raison? Quelles que soient les circonstances, il est tout de même étonnant, pour ne pas dire choquant, qu’un jury, même populaire, refuse toute idée de procès et traite un meurtre comme si rien ne s’était passé. De ce point de vue, les raisons du système judiciaire américain ne sont pas les nôtres et c’est tant mieux.

A seconde vue, il est tout de même étonnant, voire baroque, qu’un ministre de la Justice en exercice commente, quelques heures après l’affaire et dans la chaleur de l’émotion, ce qui se passe dans un pays où l’on ne peut pas dire qu’il soit le dernier du classement en matière de séparation des pouvoirs. Sans tomber dans les excès du pro-américanisme béat, ni de l’anti-américanisme primaire, force est de constater qu’il convient de prendre son temps, lorsque l’on siège aux plus hautes responsabilités de l’Etat, pour critiquer un verdict avant de le décrypter et surtout pour ne pas faire preuve, une fois de plus, de ces deux poids et deux mesures dont la locataire de la place Vendôme semble faire, au fil des années, son miel.

L’on aurait, en effet, aimé écouter Christiane Taubira sur ce qui se passe au niveau des crimes racistes, des massacres et de la traite des femmes dans certains pays du Moyen-Orient et d’Afrique ; on aurait aimé entendre les cris écrits de cette femme de culture sur les jeunes filles vendues pour quinze dinars à Mossoul et les viols comme autant d’armes de guerre au Congo. S’il convient de dénoncer les abîmes de la folie humaine, autant le faire en permanence sous toutes les latitudes, et pas seulement au gré de ses humeurs et de son idéologie.

Déjà, en 2001, la loi Taubira qualifiait l’unique traite négrière transatlantique, de crime contre l’humanité. Soit. Mais pourquoi ne pas avoir associé, à cette dénonciation méritée, les traites arabes et intra-africaines qui ont fait autant, sinon plus, de millions de morts que la première? Non: à chaque fois, c’est le «blanc», et le blanc seul qui est raciste, colonialiste, criminel, et coupable. Les autres – tous les autres – sont évidemment des victimes. Quant aux esclaves de l’empire ottoman, aux peuples massacrés des continents du Sud, aux minorités effacées, aux génocides programmés: circulez, il n’y a rien à voir
Le 10 décembre prochain, au Sénat, Christiane Taubira recevra le Prix Jean Zay 2014 pour la laïcité et les valeurs républicaines, pour son livre «Paroles de liberté». Souhaitons que notre chère et valeureuse ministre abandonne, à cette occasion, les effets pervers de la mémoire sélective.

*André Bercoff est journaliste et écrivain. Son dernier livre Bernard Tapie, Marine Le Pen, la France et Moi est paru le 9 octobre 2014 chez First.

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