Quand j’étais enfant, au cours d’une messe à laquelle j’assistais avec grand-mère, une femme a fait brutalement irruption par une porte latérale, très affairée, traînant de gros sacs, tournant la tête en tous sens, éructant des insultes. Ayant posé ses paquets, elle se mit soudain à se déshabiller comme si elle avait d’un coup très chaud. Jusqu’à tout enlever. Il y eut un moment d’agitation, des fidèles accoururent pour la faire sortir fermement. « C’est une folle », me glissa dans l’oreille ma grand-mère, « elle ne sait pas ce qu’elle fait ».
Hier, dans la cathédrale de Strasbourg, il s’est passé peu ou prou la même chose, sauf que la fille savait très bien ce qu’elle faisait, qu’on l’a laissée grimper sur l’autel et insulter le pape sans moufter, que les nombreux journalistes convoqués par ses soins l’ont même complaisamment photographiée comme s’il s’était agi de Kate Middleton, et qu’elle s’est ensuite volatilisée sans que personne ne se mette en travers de son chemin, alors qu’un dispositif policier plus qu’impressionnant était déployé dans toute la ville à l’occasion de la visite du pape.
Ma grand-mère n’est pas Hibernatus, et c’est heureux comme ça. Car c’est nous, cette fois, qu’elle prendrait pour des fous, des zinzins, des allumés, des dingos. Et en plus, de sacrés pleutres.
Comment pourrait-elle savoir, ma grand-mère ? Qu’il est impossible d’intervenir. Attendu que ceux qui ont tenté de le faire, dans le cadre, du reste, de leur travail, comme à Notre-Dame, ont été condamnés. Sans que les filles, elles, ne soient inquiétées. Malheur à qui casse un ongle des Femen ou leur marche sur le doigt de pied. Tout le monde a un boulot, des enfants à élever, un compte en banque pas forcement extensible, un casier judiciaire que l’on préférerait voir rester vierge. Alors, on ne s’en mêle pas.
Anne Hidalgo les trouve « émouvantes » (sic), et éprouve pour elle « bienveillance et respect ». François Hollande leur dit « qu’il les comprend » et affirme qu’elles ne sont pas des « malades mentales ». Ce qu’elles font est donc, selon lui, sensé. À en croire Caroline Fourest, il s’inquiéterait d’elles, à l’instar de Valls, quand elles sont en situation délicate. Il a même choisi l’une d’entre elles en guise de Marianne sur un timbre. Du côté des journalistes, il y a près de dix jours, Audrey Pulvar affirmait qu’elle soutenait « totalement » les Femen. Dans tout ce qu’elles entreprennent, donc.
On me dit que Bernard Cazeneuve a condamné fermement « l’incident » qui constitue selon lui « un outrage et une provocation ». Bel effort. Il se trouve justement que le Code pénal local alsacien, hérité du Concordat, prévoit un délit de « blasphème », potentiellement passible de trois ans de prison… On attend donc la suite. Car si rien ne se passe, quelle sera l’étape suivante ? Enlever le bas ? Bof. Moyennement transgressif. Rajouter des plumes ? Bof. Au Crazy Horse, il y a les mêmes. Alors, quoi ? Détruire les calvaires, la statuaire ? Archi vu. Taper sur l’Église en France est aussi original qu’aller pincer Poil de carotte au fond de la remise.
Pour qui voudrait à la fois, comme elles le disent, attaquer l’obscurantisme religieux et défendre la femme, il y aurait bien un plan inédit. Je ne dis pas que c’est une bonne idée. Je ne dis pas que ce ne serait pas contre-productif. Je dis qu’en tout cas, ce serait « courageux », comme elles prétendent l’être. La femme s’appelle Asia Bibi. L’action se passerait au Pakistan.
Lu sur Boulevard Voltaire