Après avoir décrypté les principaux manuels scolaires d’histoire, Barbara Lefebvre a accordé au FigaroVox un entretien fleuve. Elle montre comment l’Education nationale porte un regard apologétique sur la civilisation arabo-musulmane.
FIGAROVOX. – À quoi sert l’histoire enseignée à l’école, à développer le «vivre-ensemble» ou à instruire les élèves?
Barbara LEFEBVRE. – L’histoire scolaire telle qu’elle est prescrite par les programmes officiels transposés fidèlement dans les manuels scolaires, n’est pas l’histoire universitaire. Ce n’est pas une histoire où les débats historiographiques actuels, parfois virulents, doivent s’exposer. C’est le récit du passé au regard de l’état des lieux de la recherche faisant l’objet d’un consensus académique. L’histoire scolaire sert un projet d’influence positive: transmettre aux élèves des connaissances factuelles appuyées sur une pratique du questionnement critique des sources. On espère, naïvement peut-être, qu’ils pourront, plus tard, exercer leur raison critique et penser par eux-mêmes. Or, cette discipline est le plus souvent utilisée pour exercer une influence normative sur les élèves. Aujourd’hui cela s’aggrave dans le contexte de crise identitaire sévère et de déculturation massive.
Il est intéressant de se pencher sur les nouveaux programmes d’histoire voulus par l’actuel gouvernement, dont la majorité des thèmes sont pourtant recyclés des anciens programmes. Beaucoup de bruit pour rien?
Pas vraiment, car la France a atteint un point de tension identitaire proche de la rupture. L’histoire scolaire est un espace sensible sur lequel on peut agir, et si depuis les années 2000, le feu couve, depuis les attentats de 2015 en passant par le grotesque épisode du burkini, la cocotte-minute siffle. Cette tension tient à la pression des tenants d’un islam politique, minorité tyrannique dont certaines figures recyclées sous l’expression de «modérés» sont légitimées par les pouvoirs publics, qui jettent l’opprobre sur une majorité silencieuse souvent non pratiquante voire non croyante mais que tout le monde essentialise à des fins politiques. L’enseignement du fait religieux, ici l’islam, n’a donc jamais été aussi nécessaire et exigeant. Or si l’on veut lutter comme on le prétend contre l’idéologie politico-religieuse, encore faut-il ne pas mettre sous le tapis ce qui nous dérange pour enseigner une histoire de la civilisation musulmane sans aspérité, confinant parfois à l’apologétique, tout cela au service de la glorification dogmatique du «vivre ensemble».
Comment l’histoire de l’islam est-elle abordée dans les ouvrages scolaires?
Je me suis appuyée sur les programmes 2016 et les ressources officielles en ligne, puis j’ai observé comment cela était transposé dans les manuels scolaires de 5ème les plus utilisés [Hachette, Belin, Bordas, Hatier]. Que disent les programmes? «L’histoire du fait religieux […] permet aux élèves de mieux situer et comprendre les débats actuels» dans une approche qui ne doit pas être «fixiste sur une si longue période». Dont acte. Approcher la question par les notions de théocratie et de «contact» entre les chrétientés occidentale et byzantine et l’islam est judicieux mais on peut être troublé de la volonté explicite des programmes d’accorder davantage d’attention aux «contacts pacifiques» comme le commerce ou les sciences, plutôt qu’aux contacts guerriers, à savoir les croisades et le jihad de conquête. La conflictualité guerrière entre Chrétiens et Musulmans domine tout au long du Moyen Âge, et au-delà sous la forme du corso sur les rives de la Méditerranée européenne. En minimiser la portée, tant dans les faits que dans leurs représentations sociales et culturelles dans les deux espaces civilisationnels concernés, est révélateur du message politique présent: «les rapports entre le monde chrétien et le monde musulman ne se résument pas à des affrontements militaires» édictent les programmes.(…)
Sur la question des contacts, les instructions officielles appellent à «équilibrer» en ne donnant pas trop de poids à «l’étude des événements ayant tendance à mettre l’accent sur les contacts belliqueux». (…) Je soulèverai un autre point: les auteurs du programme qui défendent «une approche globale des faits historiques», véritable leitmotiv des instructions officielles, ont le souci d’une «histoire mixte». Il faut entendre ici où les «conditions et actions des femmes et des hommes d’une époque seront traités de façon égale». Or, étrangement, sur la condition de la femme en islam médiéval, c’est le silence qui prévaut. De fait, aucun manuel n’évoque la place des femmes dans l’islam sinon pour évoquer une régente de la dynastie des Ayyoubides au 13è siècle [Belin] comme si cette exception servait à décrire la place de la femme en Islam. Verrait-on un historien décrire la condition féminine en France à la fin du 16è siècle à travers l’exemple de Catherine de Médicis?(…)
La religion musulmane en elle-même est-elle montrée dans sa toute complexité?
On exige clairement de relativiser la bataille de Poitiers considérée anecdotique, et de fait certains manuels ne l’évoquent plus.
Bien sûr, dans un manuel scolaire on n’entre pas dans le détail des débats académiques sur l’historicité de Mohamed et la fiabilité des éléments biographiques à son sujet, mais on est quand même surpris de la pauvreté des informations le concernant dans les manuels. Si je résume ce que l’élève retient: c’est un marchand caravanier qui reçoit la visite de l’ange Gabriel vers 610, il fonde la première communauté musulmane et instaure le monothéisme définitivement en 630 avec la prise de la Mecque aux païens arabes. Tout semble se passer sans obstacle majeur: l’islam s’étend par la conquête et tout le monde se soumet de bonne grâce! Un manuel [Belin] s’abstient même de le présenter comme un chef d’État, commandant des armées de l’islam. Pourtant la figure du prophète, modèle parfait et indépassable de l’homme musulman, mériterait qu’on regarde de plus près son style de vie, d’autant que sa vie privée étant publique, elle fut racontée par ses disciples et se trouve exposée à titre d’exemple à suivre dans le Coran et la Hadith. Elle est connue de tous les Musulmans pratiquants, mais l’élève lui ne saura pas ce que le Musulman sait de la vie modèle de Mohamed. À moins que cette absence d’information biographique du prophète de l’islam ne s’explique par un hiatus entre nos canons occidentaux de l’homme de foi et d’État irréprochable et probe et la perception musulmane de la vie parfaite du prophète? Mais tout est question d’interprétation, la vie de Mohamed, fort humaine par ses sombres aspects, serait à replacer dans son contexte, précisément pour contrer le discours de l’islam politique, producteurs de jihadistes, martelant que le Coran par son immanence ne doit en aucun cas être interprété et invitant leurs coreligionnaires à «vivre comme le Prophète». Il serait salutaire de ne pas rester dans les non-dits par souci de ne pas heurter les susceptibilités supposées de certains élèves et leurs familles, et affronter les faits pour les replacer dans le champ rationnel de la pensée au lieu de les abandonner à l’idéologie.
Les périodes conquérantes et guerrières sont-elles justement évoquées?
La représentation des conquêtes par Mohamed puis ses successeurs est révélatrice de la complaisance avec laquelle on traite la dimension politico-juridique de l’histoire de l’islam. Toutes les précautions sont prises pour équilibrer le récit et éviter une présentation violente des conquêtes islamiques. Mais la succession des omissions ou des raccourcis des manuels conduisent à des contre-vérités historiques.(….).
En outre, les objectifs de la conquête ne sont jamais exposés aux élèves, or la conquête territoriale est consubstantielle à la naissance de l’islam et les propos de Mohamed dans le Coran et la Sunna sont sans ambiguïté: l’islam est prosélyte, a vocation à éclairer l’humanité, la conquête territoriale en est le principal instrument. Cette fusion du politique et du religieux doit être soulignée si l’on veut éclairer certains discours fondamentalistes actuels pour les déconstruire. Ici la notion de jihad devrait être abordée, elle sert dès le début de l’islam à une justification religieuse de la conquête de type impérialiste – tout à fait banale à l’époque – constituée de pillages, de massacres et de colonisation.(…) La partie leçon d’un manuel [Hachette] va plus loin dans l’approximation: «Les califes musulmans prennent le contrôle d’un très vaste territoire peuplé de populations nomades. Pour contrôler cet ensemble ils développent les villes où s’installent les émirs». En quoi les peuples d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient préislamique [judaïsme, christianisme, empires perse ou romain], sédentaires depuis des siècles, ayant développé des civilisations urbaines prestigieuses furent-ils des «nomades» à l’instar des tribus bédouines d’Arabie islamisées par Mohamed? Alexandrie, Jérusalem, Damas, Yarmouk, Le Caire, Mossoul et tant d’autres ne sont pas des villes fondées par les conquérants arabes à ma connaissance. Ils ont redessiné le paysage urbain pour l’islamiser mais n’ont pas fondé ces villes qui ont gardé de nombreuses traces, notamment archéologiques, d’un glorieux passé préislamique. De telles erreurs dans des manuels d’histoire laissent perplexe.
Il y aurait beaucoup à dire sur la façon dont le contact belliqueux entre Chrétienté et Islam est décrit autour de l’épisode des croisades. On retiendra notamment dans un manuel [Hatier] que dans la leçon titrée «La violence des guerres saintes», les auteurs ne rendent compte que de la Reconquista espagnole et des croisades, à travers par exemple les crimes des Croisés comme le sac de Constantinople en 1204. Le jihad n’est pas du tout évoqué dans cette leçon inscrite pourtant dans le chapitre sur l’islam!
Quelle place est donnée à la «coexistence pacifique», notamment à l’Andalousie du Moyen Âge?
A-t-on souvent vu le vainqueur s’accordant le mauvais rôle ? La critique des sources sert à éviter les anachronismes !
Dans le projet de montrer l’islam comme une religion ouverte et tolérante, le thème de la «coexistence pacifique» sur le modèle andalou est devenu habituel. En dépit des historiens, et des sources arabes elles-mêmes, décrivant la vie sociale et économique des dhimmis [Juifs et Chrétiens vivant en terre d’islam], on propose aux élèves une vision non seulement angélique mais déformée de l’histoire. Tous les manuels scolaires insistent sur le très bon accueil que les populations conquises auraient fait aux conquérants, cela n’étant démontré aux élèves qu’à travers des sources arabes, or leur objectivité est discutable. A-t-on souvent vu le vainqueur s’accordant le mauvais rôle? La critique des sources sert à éviter les anachronismes! Dans les manuels, il apparaît qu’en Arabie, après 632, tout le monde est devenu musulman comme par magie, sans pression guerrière. (…)
On passe sous silence que pour les chrétiens, majoritaires dans ces régions au haut Moyen Âge, la conquête islamique signifiait la perte de souveraineté, et pour les nombreuses communautés juives il s’agissait de passer d’un oppresseur à un autre. Donc quand on lit: «dans les territoires dominés par les Arabes, les populations se convertissent peu à peu à l’islam» [Belin ; Hatier], on a le sentiment que rien n’est fait pour éclairer les conditions de cette islamisation qui, à l’instar d’autres conquêtes antiques ou médiévales, signifiait la dépossession des autochtones de leur souveraineté, de leur droit de propriété, leur soumission sociale et culturelle. En Espagne, par exemple, les Chrétiens ont résisté comme à Tolède en 713, et les représailles furent féroces avec mutilations et crucifixions publiques. La façon dont les manuels évoquent la «coexistence» entre les trois religions sous domination musulmane est sinon fausse du moins partiale car elle n’éclaire pas les conditions de la soumission en parlant de «coexistence».
Résumer la dhimma à la protection des minorités religieuses contre paiement d’un impôt est une semi-vérité ou semi-mensonge.
Le pacte de dhimma que Mohamed imposa en 628 aux juifs de l’oasis de Khaybar servit ensuite de modèle à tous les conquérants arabes, la dhimma est essentielle pour comprendre comment les représentations collectives du non Musulman se sont forgées à travers les siècles dans le monde islamique. C’est le cadre juridique, social et économique reposant sur une base théologique, d’une société parfaite. C’est un pacte de protection que le vainqueur accorde à des communautés juives et chrétiennes. Or, la société islamique est organisée sur une base juridico-théologique discriminatoire avec les Musulmans arabes en haut de la pyramide sociale et politique, puis viennent les Berbères islamisés, puis les muwalladun, les convertis non arabes, et au plus bas de la société, avant les esclaves, on trouve les dhimmis, dont la situation est caricaturée par un manuel: «Ils restent libres de pratiquer leur religion contre le versement d’un impôt».(….)
Si la jizya était graduée, elle était aussi exigée des veuves, des orphelins et même des défunts. Si beaucoup de Juifs et de Chrétiens échappèrent à la conversion pour entrer dans le statut de dhimmi, des historiens ont montré qu’au fil des siècles, ils furent aussi nombreux à se résoudre à la conversion pour espérer une meilleure intégration et échapper à une vie de paria particulièrement en termes d’infériorité sociale et juridique. Parlerait-on de «coexistence pacifique» si les manuels acceptaient de décrire les clauses humiliantes de la dhimma comme le port de signes distinctifs obligatoires – invention arabe que l’Église reprendra pour stigmatiser les Juifs européens à partir du 13è siècle – l’interdiction de prière collective sonore, l’obligation faite aux édifices chrétiens et juifs d’être moins hauts que les mosquées, quand ce ne fut pas parfois l’interdiction de construire un nouveau lieu de culte, l’interdiction de monter à cheval et porter une arme, enfin la parole du dhimmi devant la justice qui vaut moins que celle du musulman et des sanctions différant en fonction de la religion du coupable. (…)
Quid de l’importance des échanges entre civilisations?
(…) L’Occident serait débiteur de la science arabe médiévale, voila ce qui émerge des manuels qualifiant unanimement la civilisation islamique de «brillante». Évidemment, il ne s’agit pas de remettre en question la réalité du carrefour civilisationnel que fut le monde musulman médiéval, passeur de savoirs, mais de s’interroger sur la façon simpliste dont les faits sont présentés et construisent des représentations collectives qui font sens commun aplatissant l’Histoire issue du consensus académique. Le discours laudatif voire un peu naïf sur l’âge d’or de la civilisation arabe médiévale paraît servir à trier ce qui nous arrange et favorise l’image que l’on juge bénéfique aux temps présents, celle de l’islam lumineux. Mais ce projet idéologique dessert la pensée scientifique autant que les intellectuels de cet espace culturel luttant dans leur propre pays pour faire émerger un discours scientifique et distancié sur leur passé. On réécrit pour les élèves la science arabe médiévale pour la mettre, non pas sur le même plan que les autres civilisations, mais au dessus et on en gratifie l’islam alors que la religion n’a rien à voir dans cette affaire.
Attribue-t-on la révolution copernicienne au Christianisme ou la théorie de la relativité d’Einstein au judaïsme?
Dans un des manuels [Hachette], on cite un chroniqueur arabe du 11e siècle, Saïd al-Andalusi, sans distance critique pour l’élève qui ainsi apprendra qu’avant l’arrivée des Arabes «ce pays ne savait pas ce qu’était la science et ceux qui l’habitait ne connaissaient personne qui se fut rendu illustre par son amour pour le savoir». Puis vient un passage sur l’apport des Arabes aux sciences anciennes et modernes par la traduction des savants grecs. Cette lecture apologique est corroborée par une consigne d’activité: «Montrer que la présence des musulmans d’Andalousie permet de développer les sciences et la philosophie grecque en Occident» et par la leçon qui répète que «les textes des auteurs antiques sont redécouverts en Occident par l’intermédiaire de leur traduction en arabe». (…)
Concernant l’algèbre, on sait que la plupart des savoirs arabes sont directement issus des connaissances antiques, grecques, indiennes et babyloniennes. Quant à la médecine, on veut enseigner aux élèves que les médecins arabes étaient plus modernes, mais ici encore on omet de préciser que nombre d’entre eux n’étaient ni musulmans ni arabes, à l’instar du célèbre médecin chrétien nestorien Ibn-Ishaq du 9è traducteur de Galien, Platon et Aristote en syriaque puis en arabe, dont les découvertes en matière d’ophtalmologie ont été décisives ou de Ibn Masawayh au 9è siècle médecin chrétien qui traduisit et rédigea nombre de traités en arabe. Quant aux connaissances astronomiques des Arabes, elles sont directement issues des savoirs grecs, chaldéens et babyloniens. Le manuel Hatier fait exception en rappelant qu’un grand nombre de savoirs arabes transmis en Occident sont issus de découvertes chinoises.
Ce sont les traductions latines médiévales qui permirent à la pensée d’Averroès de survivre et aux Musulmans de le redécouvrir pour en faire maintenant un symbole de leur esprit d’ouverture !
Pas une phrase sur la philosophie arabe sans citer Averroès, autochtone espagnol faut-il le rappeler, symbole de l’ouverture d’esprit de l’islam de l’âge d’or. Mais on se garde toujours de mentionner que son contemporain, le juriste al-Ghazali a réfuté la vision rationnelle d’Averroès ce qui conduisit à son bannissement pour hérésie, ses livres furent brûlés. Ce sont les traductions latines médiévales qui permirent à la pensée d’Averroès de survivre et aux Musulmans de le redécouvrir pour en faire maintenant un symbole de leur esprit d’ouverture! (…)
La délicate question de la traite orientale est-elle abordée?
À part le manuel Belin proposant un texte d’al-Yacoubi qui évoque les «esclaves noirs attachés» au service du calife al-Mansour sans pour autant attirer l’attention des élèves sur ce point dans les activités jointes, aucun manuel n’évoque la question de la traite arabe. Comme le soulignait déjà en 1992 Marc Ferro, «si l’inventaire des crimes commis par les Européens occupe à juste titre des pages entières [dans les livres scolaires], la main a tremblé dès qu’il s’agit d’évoquer les crimes commis par les Arabes». Il faut dire que le récit de la traite négrière viendrait altérer grandement l’image que les programmes et les manuels scolaires souhaitent donner aux élèves de la civilisation musulmane médiévale. La traite orientale a, en effet, ponctionné l’Afrique pendant treize siècles, de 652 avec le traité d’Ibn Saïd imposé aux Soudanais du Darfour, jusqu’à l’aube du 20è siècle, et il est difficile de trouver trace de mouvements abolitionnistes arabo-musulmans à la différence des Européens qui luttèrent pour l’abolition de ce commerce inhumain contre leurs contemporains négriers. Les traites arabes ont conduit à la déportation d’au moins 17 millions d’individus selon les études d’éminents historiens, à la servitude de jeunes filles africaines dans la sphère domestique et intime puisque beaucoup d’entre elles servaient d’esclaves sexuelles, pratique que le Coran autorise [33-52 ; 5-43 ; 4-2 ; 23-1 ; 33-02 ; 5-29]. La traite arabe a également une spécificité rarement rappelée: la castration de 7 captifs sur 10 destinés à être eunuques mais dont la majorité mourrait des suites de l’opération. Cette vaste entreprise de castration explique en partie le peu de trace que les esclaves africains ont laissé dans la démographie des sociétés musulmanes orientales, alors que les millions d’esclaves de la traite atlantique ont eu une grande descendance peuplant aujourd’hui le continent américain. On pourrait espérer que ce sujet soit traité plus tard dans la scolarité mais il n’en est rien car l’esclavage subi par l’Afrique subsaharienne pendant des siècles se résume à la traite atlantique. Ici encore, on le voit, l’histoire scolaire poursuit un objectif qui s’éloigne de sa prétention affichée à éclairer la conscience des élèves pour en faire un citoyen éclairé et de développer chez lui l’esprit critique qui passe par l’analyse des sources historiques et non l’apprentissage d’une doxa.
*Barbara Lefebvre, professeur d’histoire-géographie, elle a publié notamment Élèves sous influence (éd. Audibert, 2005) et Comprendre les génocides du 20è siècle. Comparer – Enseigner (éd. Bréal, 2007). Elle est co-auteur de Les Territoires perdus de la République (éd. Mille et une nuits, 2002).