La romance érotique, un secteur prospère!

C’est un genre littéraire vieux d’un siècle, devenu une poule aux oeufs d’or de l’édition: la romance érotique prospère loin des radars médiatiques, mais pas des grandes maisons.  On était sans doute passablement gêné, il y a quelques décennies, d’être surpris dans le métro avec à la main un de ces romans dits à l’eau de rose, aux titres de mauvaises séries B: Michaela et le Maître chanteur, Coup de foudre pour une héritière, L’Invitation à aimer et autres Tyran au coeur tendre.

Descendante en ligne directe des romance novels que les pulps américains publiaient au même titre que les histoires de détectives ou de science-fiction, la romance est arrivée dans les librairies, les gares et les supermarchés dans les années 1970: les reines du genre avaient alors pour nom Barbara Cartland, Danielle Steel, Nora Roberts ou encore Julia Quinn. Aujourd’hui il s’agit aussi d’un véritable marché, nombre d’éditeurs ne se cachant pas d’y rechercher le “coup commercial”.

On est beaucoup moins gêné, au XXIe siècle, de dégainer Beautiful Bastard (série de Christina Lauren, Hugo), Ugly Love ou Confess (Colleen Hoover, Hugo), Crossfire (Sylvia Day, J’ai Lu), After ou Before (Anna Todd, Hugo). D’ailleurs, si les couvertures conservent le visuel sulfureux d’il y a trente ans, elles s’affichent délibérément girly et flashy.

L’appel de Fifty Shades
Ce secteur éditorial monte en puissance depuis cinq ans en France, où il connaît un succès inouï: 135000 exemplaires vendus pour le premier tome de Beautiful Bastard en grand format (Hugo, 2013) et 185000 en poche (Pocket, 2014); de 170000 à 330000 exemplaires pour les cinq After d’Anna Todd; plus de 100000 pour chaque épisode de Crossfire par Sylvia Day [source: Institut GfK]. De quoi exciter l’appétit des éditeurs: les promoteurs “historiques” de ce genre éditorial (J’ai Lu et Harlequin) ont ainsi vu arriver dans le secteur Michel Lafon et, surtout, Hugo & Cie.

Par la suite, les éditions Bragelonne, spécialisées dans la fantasy, ont créé le label “Milady Romance”. Début 2015, la prestigieuse maison Jean-Claude Lattès lançait à son tour la collection “&moi”, sur une idée de la directrice, Isabelle Laffont, et de Marie Buhler, qui travaillait sur le domaine étranger: “Nous avons toujours été une maison hétéroclite, assume-t-elle, publiant Dan Brown aussi bien que Delphine de Vigan. L’idée d’une collection était d’identifier clairement ces romans dans notre catalogue, contrairement à Cinquante Nuances de Grey.” E. L. James, auteure de la fameuse trilogie, a créé un véritable appel.

“Lattès nous a offert une très belle voie pour s’avancer dans ce domaine”, témoigne Tiffany Gassouk, responsable éditoriale chez Calmann-Lévy, qui vient de publier Mon cher stagiaire d’Anouk Laclos (pseudonyme), romance érotique qui inverse les codes, avec l’initiation sexuelle d’un jeune stagiaire par sa patronne.

Des Etats-Unis, Colleen Hoover nous le confirme: “Ce phénomène a fait revenir beaucoup de gens à la lecture. De très nombreuses lectrices m’ont dit être venues à mes livres par cet ouvrage-là.” Agent littéraire à La Nouvelle Agence, Anne Maizeret représente en France Anna Todd, Colleen Hoover, Sylvia Day ou Jamie McGuire. Pour elle, “l’effet Cinquante Nuances a généré des situations d’enchères très fréquentes. J’avais cinq ou six concurrents décidés sur un même titre”. Propos confirmés par un autre éditeur pour qui: “C’est devenu difficile car il nous faut lire, agir, et acheter très vite”, évoquant aussi “un fort accroissement du nombre de textes qui arrivent”.

L’avènement du numérique
La “New Romance”, c’est un lectorat féminin à plus de 80%, qui écrit beaucoup et s’autopublie souvent. En conséquence, les éditeurs vont scruter les ventes de ces autoéditions américaines sur Amazon. C’est le cas de Bénédicte Lombardo, responsable du pôle étranger chez Michel Lafon, de Marie Buhler chez Lattès, de Benita Rolland chez Hugo.

Les jeunes plumes sont aussi des usagers de sites comme Wattpad (créé en 2006) ou WeLoveWords, la première plate-forme communautaire francophone destinée aux auteurs, démarrée en avril 2010. Sur cette dernière, Harlequin a eu l’idée de lancer un concours d’écriture: “Nous avons reçu plus de cinq cents manuscrits, se souvient Karine Lanini, directrice éditoriale déléguée chez Harper Collins France (propriétaire des éditions Harlequin et de leurs labels), c’est ainsi que nous sommes devenus le premier éditeur d’Emily Blaine, notre auteure phare.” En 2012, la maison a lancé son propre programme de publication numérique, baptisé HQN, de façon à “faire venir chez [elle] les auteurs de ce vivier”.

Chez Hugo & Cie, Arthur de Saint-Vincent a créé Fyctia, une plate-forme de concours d’écriture, Web et mobile, destinée à “faire écrire sous forme de concours par thème et par genre”. Les participants sont lus par les internautes: celles et ceux qui ont le nombre suffisant de likes se voient proposer un contrat d’édition papier et numérique (500 euros d’à-valoir et 15% sur les ventes).

Promo 2.0
Il est toutefois rare de trouver des titres tels que Exalte-moi ou Jeu d’imprudence sur les étals. Les premiers vendeurs ne sont pas les libraires: ce sont les hypermarchés et les sites de ventes en ligne. De plus, la romance actuelle est une enfant de la révolution numérique: environ un tiers des livres achetés sont des e-books. Le phénomène est semblable à celui des séries TV: le public est avide de lire dès la sortie, sans attendre.

C’est donc vers Internet que les éditeurs dirigent leurs campagnes de promotion et de distribution: opérations sur Spotify, clips, mais surtout blogs ciblés et réseaux sociaux. Eux-mêmes membres de ces communautés 2.0, les auteurs s’investissent instinctivement sur ces réseaux: Anna Todd et Colleen Hoover sont omniprésentes sur Instagram, de même que Laura Trompette, l’une des rares auteures françaises du genre. Avec Ladies’ Taste et Ladies’ Secret (Hugo, 2015), celle-ci a abordé l’homosexualité féminine et publiait cette année Si on nous l’avait dit dans la nouvelle collection “&moi” de Lattès (suivi d’un autre texte sur Wattpad). Communiquer par les réseaux sociaux est “une vraie volonté de [sa] part”, et c’est là qu’elle fidélise un public qui la suit régulièrement lors de ses séances de dédicaces.

Dernière nouveauté parlante pour ce secteur éditorial: l’année 2016 a vu naître les deux premiers festivals littéraires consacrés à la romance. Un coup d’essai en avril à Paris, le festival du Roman féminin, à l’initiative du site lesromantiques.com; puis un festival New Romance du 30 septembre au 2 octobre autour de Bandol (Var) organisé par les éditions Hugo qui annoncent des speed-writings, des spectacles musicaux, des auteurs emblématiques (Anna Todd, Colleen Hoover), des “animations girly inspirées de films” et une marraine qui devrait être la chanteuse Louane. Et il serait fort étonnant qu’on y soit contraint de cacher ses couvertures sentimentales et un peu olé olé…

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