« En 2014, les travaux les plus récents des équipes de scientifiques grecs et du docteur Théodoros Antikas, professeur d’anatomie et de physiologie dans les universités des États-Unis, chargés d’étudier les découvertes de la tombe royale II d’Aigéai, ont révélé avec une quasi certitude que les ossements trouvés dans cette tombe sont ceux du roi Philippe II de Macédoine*.
Quasi-certitude ? Sauf que d’autres chercheurs ont acquis une quasi-certitude différente, et que leurs arguments semblent très forts. Connu pour avoir décrit l’espèce Homo antecessor, l’anthropologue Juan-Luis Arsuaga de l’Université Complutense de Madrid et son équipe viennent d’aligner une série d’indices suggérant que les restes de Philippe II de Macédoine (–382 à –336) se trouvaient plutôt dans la tombe royale I d’Aigéai.
Aigéai est la première capitale du royaume de Macédoine, une ville disparue qui porte aujourd’hui le nom de Vergina. La nécropole royale de la ville contient 11 tombes. Tous les chercheurs sont d’accord sur le fait que la tombe III est celle du fils d’Alexandre le Grand (–356 à –323), Alexandre IV (–323 à –310). Sa façade est très proche de celle de la tombe II. Découverte intacte en 1977, la tombe II contenait un riche mobilier funéraire, notamment une cuirasse, un casque et un bouclier ainsi que trois larnax (petits cercueils) en or contenant chacun des restes de crémation. Plusieurs indices archéologiques suggèrent qu’il pourrait s’agir de la tombe de Philippe III Arrhidée (352-317), l’un des deux fils de Philippe II et de celle de sa femme Euridyce. Toutefois, malgré ces indices, « l’establishment archéologique s’acharne à maintenir qu’il s’agit de celle de Philippe II », souligne Juan-Luis Arsuaga. De fait, la tombe II est nommée jusqu’à aujourd’hui la «Tombe de Philippe».
Pour sa part, la tombe I est plus ancienne que les tombes II et III. Elle est flanquée d’un hérôon, c’est-à-dire d’un autel dédié au culte d’un héros. De quel héros ? Le fait que ce hérôon est réalisé dans exactement la même pierre de taille que la tombe ne laisse aucun doute : le héros célébré sur cet autel est le défunt de la tombe I. Cette dernière se distingue aussi par ses magnifiques peintures, dont la plus remarquable représente l’enlèvement de Perséphone par Hadès (voir l’image ci-dessus). En outre, il s’agit d’une tombe à ciste (coffre mortuaire) et à inhumation, c’est-à-dire qu’elle contient les squelettes incomplets de trois personnes : un homme, une femme et un nouveau né.
En étudiant de près ces ossements par les méthodes modernes de l’anthropologie physique, les chercheurs espagnols ont d’abord déterminé que les âges des trois défunts correspondent parfaitement à ceux de Philippe II, de sa septième épouse la jeune Cléopâtre et de son nouveau-né lors de leurs décès. En –336, Philippe II est assassiné par son garde du corps. On soupçonne qu’Olympias, sa quatrième épouse, a trempé dans un assassinat qui ouvrait le chemin du trône à son fils Alexandre. Quoi qu’il en soit, d’après les auteurs anciens, Olympias vient aussitôt après l’assassinat tuer « sur les genoux de sa mère » le bébé de Cléopâtre, qu’elle oblige ensuite à se pendre.
L’étude de l’usure des dents de l’homme défunt suggère qu’il est décédé vers l’âge de 45 ans, ce qui correspond aux dates de vie de Philippe II connues par les sources. D’après l’étude de ses dents et des os longs de ses jambes, la jeune femme inhumée avec lui avait environ 18 ans. Quant au nouveau-né, les os longs de ses jambes indiquent qu’il est mort entre sa 41e et sa 44e semaine, c’est-à-dire vers 10 ou 11 mois.
Toutefois, ce sont surtout les lésions osseuses cicatrisées du genou gauche de l’homme qui convainquent les chercheurs espagnols, car elles aussi correspondent parfaitement au récit historique. D’après Démosthène (–384 à –322) par exemple, le seul auteur contemporain de Philippe II à avoir écrit sur lui, le roi a été blessé « à la jambe » au cours d’un affrontement avec les Triballes (un peuple peut-être celtique) quelques années avant sa mort. Il a survécu à cette très grave blessure, mais en a gardé une forte boiterie. On sait aussi qu’en –354, lors de la prise de la ville de Cnédidès, Philippe II a perdu un œil. Lorsqu’ils ont étudié les jambes du défunt mâle de la tombe II, les chercheurs ont d’abord déduit des caractéristiques de ses os longs qu’il mesurait 1,8 mètre, ce qui est une très grande taille pour son époque.
Or les chercheurs ont constaté que son genou gauche était complètement figé dans une position vrillée par une ankylose, en d’autres termes, par la prolifération de tissu osseux ayant fusionné son tibia et son fémur. Cette prolifération s’est produite, ont-ils établi, pendant l’inflammation due à une agression violente de l’articulation, et non à cause d’une maladie. La violence subie par le genou gauche du défunt est d’autant plus évidente que la fusion du tibia et du fémur s’est faite autour d’un trou rond dont la forme correspond à celle d’une pointe de lance, l’arme censée avoir blessé Philippe II. D’après les chercheurs, la lance a violemment séparé le tibia du fémur, mais, malgré cela, les médecins du roi ont longtemps évité de la retirer afin d’éviter une hémorragie mortelle. C’est pourquoi la prolifération qui s’est enclenchée a soudé les os de part et d’autre de la pointe de lance (voir les photographies du genou ci-contre). Ce n’est que quand la cicatrisation a été assez avancée que les médecins du roi ont osé retirer la pointe, de sorte qu’un trou béant est resté au milieu d’une articulation désormais figée (voir ci-contre). Cette procédure peut sembler peu optimale, mais elle suscite l’admiration des chercheurs, car elle a sauvé la vie de Philippe II, même s’il a passé ses dernières années à boiter lourdement en dodelinant de la tête, ce qui n’a pu que déclencher torticolis chroniques et autres troubles…
Pour les anthropologues espagnols, la présence dans la tombe de trois défunts d’âges correspondant aux âges donnés par le récit historique pour Philippe II, Cléopâtre et leur bébé, le fait que l’un d’eux ait été blessé au genou par une arme de guerre, l’antériorité de la tombe, la présence d’un hérôon et l’ornementation somptueuse de la tombe ne s’expliquent que si la tombe royale I d’Aigéai est bien celle du père d’Alexandre le grand.
Dès lors, comment les archéologues qui ont étudié la tombe II ont-ils pu se tromper? D’après les chercheurs espagnols, ils se sont fiés aux déclarations d’auteurs anciens bien postérieurs à Philippe II, et notamment à celles de Justin, un historien romain du IIIe siècle, qui écrit que Philippe II a été incinéré. Par conséquent, pour tous ceux qui lui accordent foi, les restes incinérés découverts dans la tombe II ne pouvaient être que ceux de Philippe II. Les chercheurs espagnols, eux, font observer que Justin a écrit plus de quatre siècles après celui de Philippe II, alors qu’il ignorait le traitement funéraire reçu par Philippe II, et que, de culture romaine, il considérait sans doute qu’un aussi grand roi n’avait pu qu’être incinéré comme un empereur romain. Espérons que les anthropologues espagnols auront enfin réussi à trier la macédoine d’opinions scientifiques relatives à la tombe de Philippe II !
* Philippe II de Macédoine est un roi ayant régné de 359 à 336. Il est le père d’Alexandre le Grand ; il a été, selon le philosophe péripatéticien Théophraste, le plus grand des rois de Macédoine, non seulement par sa fortune, mais encore par sa sagesse et sa modération.