Ce texte « peut conduire à la création d’une police politique, sans réel garde-fous », prévient la députée LR d’Eure-et-Loir Laure de la Raudière, à l’origine, avec Pierre Lellouche, de la saisine transpartisane du Conseil constitutionnel. Du Front national à EELV, en passant par Les Républicains, l’UDI et le Modem, 106 élus de tous bords entendent dénoncer jusqu’au bout les dangers de la loi Renseignement entérinée mercredi à l’Assemblée. Le Front de gauche, bien qu’ayant voté contre, brille curieusement par son absence. Dommage, la lutte pour le respect de la vie privée et des libertés individuelles valait pourtant bien une unité de circonstance.
Car au-delà des courants politiques et des idéologies, les opposants à la loi, qu’ils soient parlementaires, experts, juristes ou geeks, s’accordent sur l’inutilité de la surveillance de masse en matière d’antiterrorisme, sur le caractère liberticide d’outils technologiques intrusifs et d’enquêtes administratives pouvant être déclenchées sans l’aval d’un juge, sur le pouvoir excessif attribué au Premier ministre ou encore sur les champs d’application beaucoup trop vagues et fourre-tout qui s’étendent aux « atteintes à la forme républicaine des institutions ». « Si ce texte est mal utilisé, il ouvre la voie à toutes les dérives », s’inquiète Pierre Lellouche.
« Ces motifs sont tellement flous qu’ils pourront être invoqués pour tout et n’importe quoi. Les violences collectives pourraient s’appliquer à toute manifestation syndicale, par exemple », confirme Adrienne Charmet, de la Quadrature du Net, qui va aussi saisir le Conseil constitutionnel – et, le cas échéant, la CEDH – avec deux autres associations, et lui remettre un amicus curiae. Ce mémoire détaille sur 120 pages les points juridiques et techniques litigieux, à commencer par les boîtes noires d’algorithmes et les Imsi catchers, qui vont passer au crible des dizaines de milliers de métadonnées de citoyens lambda.
Encore plus fort : un amendement dit « de précision » a été ajouté en quatrième vitesse pour museler les lanceurs d’alerte, c’est-à-dire ceux, souvent employés d’agences gouvernementales, qui osent dévoiler des pratiques abusives. De quoi faire tomber à la renverse les deux plus célèbres d’entre eux, Edward Snowden et Julian Assange, qui n’étaient déjà pas tendres avec ce projet de loi français au parfum de Patriot Act. Le texte prévoit désormais que tout whistleblower souhaitant se manifester pourra le faire devant la CNCTR… à condition de ne pas divulguer d’éléments classés secret-défense, sous peine d’être sanctionné. Ça va être commode ! Même Claude Bartolone, du haut de son perchoir, a été « gêné » de découvrir au dernier moment sur son bureau cette petite combine présentée comme une modification mineure.
Pour la forme, François Hollande va, lui aussi, solliciter l’avis des Sages, comme il s’y était engagé. L’affaire prend une dimension des plus cocasses au moment où le fondateur de Wikileaks révèle que la NSA ne s’est pas privée d’espionner les conversations des présidents Chirac, Sarkozy et Hollande, et que d’autres informations encore plus explosives restaient à venir. Le gouvernement français feint de s’indigner alors même qu’il met en place un flicage orwellien. Manuel Valls, qui avait fait fi d’une pétition de 140.000 signatures demandant le retrait de sa loi, pousse la mauvaise foi jusqu’à exiger des États-Unis « un code de bonne conduite ». Il n’a pas fini de nous brouiller l’écoute.
Eloïse Gloria – Boulevard Voltaire