Le site WikiLeaks a publié, vendredi 19 juin, près de 61.000 communications confidentielles de la diplomatie saoudienne. Une opération dénommée “Saudi cables” et qui selon Julian Assange, le fondateur du site, a pour but d’en révéler 500.000 au total. De quoi étaler au grand jour les manigances extérieures des Saouds et la terreur qu’ils font régner chez eux.
Que nous révèle aujourd’hui ces documents sur les liens qu’entretient le royaume wahhabite avec ses alliés comme les Etats-Unis ?
Haoues Seniguer : Les documents divulgués par le site WikiLeaks exposent au grand jour la grande duplicité du royaume saoudien et, par ricochets, met à mal un certain nombre d’États occidentaux, en particulier les Etats-Unis, qui ont fait de Riyad, depuis des décennies, un partenaire privilégié de leur politique étrangère dans la région du Moyen-Orient. En effet, comment, d’un côté, dénoncer les violations flagrantes et continues des droits de l’homme des acteurs étatiques et non étatiques de la région, et, de l’autre, prendre langue avec un pays, l’Arabie saoudite en l’espèce, qui elle-même viole les droits de l’Homme les plus élémentaires ? L’alliance Arabie saoudite-Etats-Unis apparaît ainsi de plus en plus comme contre-nature et très largement dictée, pour les seconds, à la fois par des considérations économiques et de pragmatisme politique.
La France est également éclaboussée, il est vrai tout aussi indirectement. En effet, il est difficile de justifier auprès de l’opinion publique française la vente de rafales à un pays dont le moins qu’on puisse dire est qu’il ne brille pas par son attachement scrupuleux aux droits de l’Homme qui s’opposent au contraire à son idéologie.
Selon Julian Assange, “Saudi Cables a mis en lumière une dictature qui devient de plus en plus imprévisible, (qui) est aussi devenue une menace pour ses voisins ainsi que pour elle-même”. Que nous apprennent ces documents sur le caractère dictatorial du régime ?
Les documents, dont je n’ai pas pris connaissance de la totalité, ne nous apprennent rien de plus que ce que nous savions déjà au sujet de la monarchie saoudienne, à savoir un État qui applique une vision très littéraliste et, partant, répressive de la religion, et qui n’hésite pas, par ailleurs, à s’appuyer sur la diplomatie de chéquier pour soigner son image à l’étranger. Il faut reconnaître que la diplomatie de chéquier procède d’une relation clientéliste où il y a un patron ou des patrons et un ou plusieurs obligés. En d’autres mots, si clientélisme saoudien il y a, la clientèle en accepte les termes. La responsabilité est par conséquent largement partagée.
WikiLeaks nous renseigne également sur les tentatives des Saoudiens pour influencer leurs voisins, Libanais par exemple, afin de contrecarrer l’influence grandissante de l’ennemi iranien. Le royaume n’hésitant pas à utiliser le clientélisme. Qu’apprend-t-on à ce sujet ?
On y apprend notamment que l’Arabie saoudite financerait (ou serait disposé à financer) des partis politiques libanais pour asseoir sa présence et son influence diplomatique dans un Proche-Orient en crise chronique, en vue de contrebalancer, en effet, “l’influence grandissante de l’Iran” et de ses alliés régionaux que sont notamment les membres du Hezbollah libanais. Riyad craint vraiment de perdre du terrain face à un Iran qui semble s’imposer de plus en plus comme un interlocuteur crédible des puissances occidentales, États-Unis en tête, pour la résolution de crises régionales, à l’image du conflit syrien qui n’en finit pas.
Riyad a d’ores et déjà réagi en affirmant que ces Saudi cables étaient faux. Face à un régime si dur, peut-on imaginer que ces révélations aient une quelconque répercussion sur le royaume saoudien ?
Un régime aussi autoritaire et sûr de lui-même a néanmoins toujours besoin de soigner son image à l’étranger, notamment à l’heure des Nouvelles Technologies des Informations et de la Communication (NTIC), où, ce faisant, il n’est jamais très bon, auprès d’une opinion publique internationale de plus en plus sensible et exigeante sur les violations des droits humains, de véhiculer à grande échelle une image négative de soi. La diffusion de ce genre d’informations est également en mesure de gêner la communication publique des nations démocratiques, à l’instar de la France, qui dénoncent le radicalisme ou le “djihadisme”, d’un côté, et, de l’autre, ferment les yeux sur les actions très discutables du régime saoudien qui cultive un paradigme religieux très proche de celui de Daech, à la différence près que l’Arabie Saoudite est un pays reconnu sur le plan international tandis qu’il n’en est rien, et pour cause, s’agissant de l’organisation de l’État islamique.