Il paraît que, grâce au « doux commerce », « l’Europe nous protège », pour reprendre la phraséologie libéralo-européiste. Voilà qui ne semble pas être vrai pour les fromages, surtout ceux d’Italie. Ainsi, le parmesan, véritable fleuron transalpin, est-il en train de passer sous pavillon français. Enfin, « français », il faut le dire vite, s’agissant du groupe Lactalis, multinationale battant pavillon hexagonal et déjà détentrice du tiers de la production fromagère italienne.
On notera encore qu’italien, le parmesan en question ne l’était plus depuis longtemps, Nuova Castelli, sa société mère, ayant été une première fois rachetée en 2014 par le fonds d’investissement Charterhouse Capital Partners, nom qui ne fleure pas exactement le terroir de l’Émilie-Romagne.
Et c’est à juste titre qu’Ettore Prandini, président de Coldiretti, principal syndicat agricole local, s’insurge : « Il faut empêcher qu’une société stratégique pour la commercialisation à l’étranger de nos fromages d’origine protégée soit rachetée par une multinationale française, la même qui a repris Parmati. Il est nécessaire que le gouvernement s’en mêle. »
Comme là-bas, il y a effectivement un gouvernement à peu près digne de ce nom, Gian Marco Centinaio, ministre de l’Agriculture du M5S, mouvement allié à la Ligue de Matteo Salvini, vient d’annoncer : « Nous ferons tout pour protéger l’agroalimentaire italien de l’assaut des multinationales étrangères. Le Parmigiano Reggiano est l’un des produits les plus représentatifs du Made in Italy, une fierté de notre excellence gastronomique. » On ne le lui fait pas dire. Le brave homme…
Étrange monde que le nôtre. Dans lequel les Français se toquent de fabriquer du parmesan, après avoir tenté de faire main basse sur la feta grecque tout en ne protégeant même plus notre camembert, autre trésor patrimonial, alors que les Chinois rachètent à tour de bras nos vins de Bordeaux. En attendant que le Zimbabwe se mette à faire du champagne et Angela Merkel de l’humour ?
Il paraît que ce serait la modernité. Que ce serait plus compétitif, aussi ; toujours la même antienne, comme si la compétitivité était une fin en soi. Bref, que Lactalis serait une fierté française. À en juger du scandale du lait contaminé qui a touché, en 2018, cette société (une fois n’est pas coutume), on n’a que peu de raisons, en la circonstance, de se montrer fiers d’être français.
D’ailleurs, à propos de fromages et de fierté française, que ces lignes soient l’occasion de réparer une ancestrale injustice. En effet, on rappellera que la mimolette est tout, hormis hollandaise, s’agissant d’un fromage éminemment français, dont la fabrication remonte au XVIIe siècle. En cette époque bénie, le grand Colbert avait interdit l’importation de fromages étrangers afin de mieux favoriser les paysans français. Lesquels ne manquaient, d’ailleurs, pas d’imagination, puisque lui ayant donné sa belle couleur orangée pour mieux le différencier du vulgaire edam des Bataves.
N’allez, pour autant, pas conclure que l’auteur de ces lignes soit en train de sombrer dans on ne sait quelle détestation des Pays-Bas – déjà, rien que ce nom… À titre personnel, je n’ai strictement rien contre nos amis hollandais. J’attends juste qu’on m’explique, plus en détail, à quoi ils peuvent bien servir.
Nicolas Gauthier – Boulevard Voltaire