Par Eric Anceau
Pour Victor Hugo, Napoléon III ne fut jamais que « l’enfant du hasard […] dont le nom [était] un vol et la naissance un faux ». Il faisait ici allusion à la supposée naissance illégitime de celui qui fut notre premier président de la République et notre dernier empereur. Il ne reprenait là qu’une rumeur largement répandue dès la naissance de Louis-Napoléon Bonaparte en 1808 et crue par le propre père de l’enfant, Louis, frère cadet de Napoléon et roi de Hollande.
Hortense de Beauharnais, son épouse, était jolie et aimait la vie… Dans la biographie que j’ai consacrée à Napoléon III (2008, rééd. 2012), je penchais en faveur d’une naissance légitime sur la foi de plusieurs éléments, sans conclure, évidemment, ni dans un sens ni dans l’autre, et en préconisant de recourir aux tests ADN pour trancher la question.
L’affaire n’est évidemment pas anodine quand on connaît la suite de l’histoire et le destin qui attendait l’enfant. Après deux tentatives infructueuses pour prendre le pouvoir par la force au roi des Français Louis-Philippe (1836 à Strasbourg et 1840 à Boulogne), Louis-Napoléon Bonaparte fut élu triomphalement président de la République, en décembre 1848. Ce fut en très grande partie la légende napoléonienne, le « napoléonisme » des campagnes, qui le porta au pouvoir. Du reste, notre homme se présentait en héritier de son oncle – chez lui, aucun doute sur sa parenté – et faisait régulièrement référence à lui dans ses écrits après avoir appris par cœur des passages entiers du Mémorial de Sainte-Hélène.
Après le coup d’État qu’il fit pour se maintenir au pouvoir, le 2 décembre 1851 (un 2 décembre comme le sacre à Notre-Dame et la plus belle victoire de Napoléon, Austerlitz, ce n’est pas un hasard), il instaura une Constitution qui s’inspirait explicitement du Consulat puis, comme son oncle, transforma le régime à son profit… le 2 décembre 1852. Si son pouvoir reposait pour partie sur la souveraineté populaire et le suffrage de millions de Français (par l’élection d’abord, par les plébiscites ensuite), il avait donc aussi, indéniablement, une assise dynastique, d’ailleurs constamment soulignée par la propagande impériale.
Or, les faits ne pourront peut-être plus s’écrire de la même façon depuis… le 2 décembre dernier. Ce jour-là, le généticien Gérard Lucotte a fait une importante communication à l’hôtel des Invalides. Notons que la famille Napoléon et le Souvenir napoléonien ont l’immense mérite d’avoir voulu faire toute la lumière sur cette énigme historique et ont appuyé le chercheur dans sa démarche, dussent-ils souffrir de ses découvertes. Gérard Lucotte a pu comparer l’haplogroupe du chromosome Y de Napoléon Ier et celui de Napoléon III et constater qu’ils différaient.
Par Eric Anceau
La recherche qui a été menée à partir de cheveux et de pellicules mériterait une contre-expertise car le chercheur ne fait pas l’unanimité dans la communauté scientifique et l’affaire est importante. Si la découverte est avérée, il en résulte, en effet, que Napoléon III n’était pas génétiquement le neveu en lignée paternelle de Napoléon. On précisera, toutefois, qu’il se rattachait de toute façon à Napoléon puisque celui-ci avait adopté sa belle-fille, Hortense, fille du premier lit de son épouse Joséphine.
On ajoutera surtout que l’infidélité d’Hortense n’est pas avérée. Il existe en effet une autre grande hypothèse en faveur de laquelle penche d’ailleurs Gérard Lucotte : l’infidélité non d’Hortense mais, à la génération précédente, de Letizia qui aurait eu Napoléon et Louis de deux pères différents. Ajoutons enfin, pour être complet, une troisième et dernière possibilité : la double conception hors mariage aux deux générations. On voit donc qu’à ce stade, il demeure plus de questions que de réponses. Seules de plus amples investigations et en particulier l’exhumation de la dépouille de Louis qui se trouve dans l’église de Saint-Leu-la-Forêt (Val-d’Oise) permettront de trancher.
Quelles que soient, d’ailleurs, les nouvelles découvertes, elles ne retireront évidemment rien à la famille, ni ne changeront l’histoire. Peut-être feront-elles simplement réfléchir au cours différent que celle-ci aurait pu prendre à une époque où la France avait encore des dynasties et où, pour devenir président, un nom immense était un atout maître.