En quelques mois, six nouveaux saints par canonisation équipollente

C’est-à-dire sans qu’un miracle ait été dûment constaté après leur béatification. Il s’agit d’une procédure exceptionnelle, qui n’a été utilisée qu’en de rares occasions au cours de l’histoire. Mais le pape François y a recours avec une fréquence sans précédent 

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Lorsqu’il a reçu en audience Mgr Bernardo Alvarez Afonso, l’évêque de San Cristobal de la Laguna, dans l’île de Ténérife qui fait partie de l’archipel des Canaries, le pape François lui a annoncé que, le 2 avril prochain, il proclamerait saint un illustre fils de ces îles, le jésuite José de Anchieta (1534-1597), appelé l’Apôtre du Brésil.

Cette information avait déjà été donnée de manière anticipée, à la fin du mois de février, par le cardinal Raymundo Damasceno Assis, archevêque d’Aparecida et président de la conférence des évêques du Brésil.

Mais Mgr Alvarez a diffusé l’information sur le site web de son diocèse le jour même de l’audience, le 8 mars, en fournissant des détails supplémentaires à propos de cet événement.

Il a en effet expliqué qu’Anchieta serait inscrit sur la liste des saints en même temps que deux bienheureux nés en France qui ont joué un rôle de premier plan dans l’évangélisation du Canada : la mystique missionnaire Marie de l’Incarnation, à l’état-civil Marie Guyart (1599-1672), et l’évêque François de Montmorency-Laval (1623-1708).

Ils avaient été tous les trois béatifiés par Jean-Paul II le 22 juin 1980, en même temps que deux autres vénérables ayant vécu aux Amériques et qui, depuis cette date, ont déjà été canonisés selon la procédure ordinaire : Pedro de Betancur (1626-1667) et la jeune vierge indienne Catherine Tekakwitha (1656-1680), proclamés saints le premier par Jean-Paul II le 30 juillet 2002 et la seconde par Benoît XVI le 21 octobre 2012.

Tout est donc normal ? Non. L’évêque de Ténérife a révélé que les trois bienheureux seraient proclamés saints non pas par application de la procédure ordinaire, qui exige la reconnaissance canonique d’un miracle attribué à leur intercession, mais à travers un canal extraordinaire qui est historiquement défini comme “canonisation équipollente”.

En quoi consiste cette procédure spéciale, qui “a toujours été présente dans l’Église et qui est mise en œuvre régulièrement, à défaut de l’être fréquemment” ?

Le cardinal Angelo Amato, préfet de la congrégation pour les causes des saints l’a expliqué dans “L’Osservatore Romano” du 12 octobre 2013.

Le prélat indique :”Pour cette forme de canonisation, d’après la doctrine de Benoît XIV, trois éléments sont nécessaires : la possession ancienne d’un culte ; l’attestation constante et répandue des vertus ou du martyre par des historiens dignes de foi ; la réputation ininterrompue d’accomplissement de prodiges”.

Et le cardinal Amato de poursuivre : “Si ces conditions sont remplies – c’est encore la doctrine du pape Prospero Lambertini – le souverain pontife peut, de sa propre autorité, procéder à la ‘canonisation équipollente’, c’est-à-dire à l’extension à l’Église universelle de la récitation de l’office divin et de la célébration de la messe [en l’honneur du nouveau saint], ‘sans aucune sentence formelle définitive, sans aucun processus juridique préalable, sans accomplissement des cérémonies habituelles'”.

En effet le pape Lambertini lui-même – dans un volume de sa monumentale œuvre “De servorum Dei beatificatione et beatorum canonizatione” qui est également disponible aujourd’hui en italien grâce à la maison d’édition Libreria Editrice Vaticana – énumère douze cas de saints qui avaient été canonisés de cette façon avant son pontificat (1740-1758).

Il s’agit de : Romuald (canonisé en 1595), Norbert (1621), Bruno (1623), Pierre Nolasque (1655), Raymond Nonnat (1681), Étienne de Hongrie (1686), Marguerite d’Écosse (1691), Jean de Matha et Félix de Valois (1694), Grégoire VII (1728), Wenceslas de Bohême (1729), Gertrude de Helfta (1738).

Ensuite, toujours dans “L’Osservatore Romano” du 12 octobre dernier, le cardinal Amato énumère également les “canonisations équipollentes” qui ont eu lieu après le pontificat de Benoît XIV : Pierre Damien et Boniface martyr (canonisés en 1828) ; Cyrille et Méthode de Thessalonique (1880) ; Cyrille d’Alexandrie, Cyrille de Jérusalem, Justin martyr et Augustin de Cantorbéry (1882) ; Jean Damascène et Sylvestre abbé (1890) ; Bède le vénérable (1899) ; Éphrem le Syrien (1920) ; Albert le Grand (1931) ; Marguerite de Hongrie (1943) ; Grégoire Barbarigo (1960) ; Jean d’Avila ainsi que Nicolas Tavelic et ses trois compagnons martyrs (1970) ; Marc de Križevci, Etienne Pongrácz et Melchior Grodziecki (1995).

Comme on peut le constater, Jean-Paul II, bien qu’il ait à lui seul proclamé plus de saints et de bienheureux que tous ses prédécesseurs réunis – à partir de l’époque où les papes se sont réservé ce pouvoir – n’a eu recours qu’une seule fois à la procédure de la “canonisation équipollente”.

De même Benoît XVI ne l’a utilisée qu’une seule fois, pour Hildegarde de Bingen, proclamée sainte le 10 mai 2012.

En revanche le pape François a déjà employé cette procédure exceptionnelle à deux reprises. Le 9 octobre 2013 pour Angèle de Foligno (1248-1309) et, le 17 décembre suivant, pour le jésuite Pierre Favre (1506-1546). Et il va l’utiliser une troisième fois, lorsqu’il va proclamer trois nouveaux saints, le 2 avril prochain : le jésuite Anchieta, sœur Marie Guyart et l’évêque François de Montmorency-Laval.

En pratique, il n’y a que Léon XIII qui ait employé cette modalité spéciale davantage que le pape actuel ne l’a fait en une seule année de pontificat. Il y a recouru un peu plus fréquemment, même si c’est au cours d’une période de vingt ans (entre 1880 et 1899) et s’il l’a appliquée à des personnalités du premier millénaire de l’ère chrétienne, à la seule exception de Sylvestre abbé, qui vivait au lointain XIVe siècle.

En somme, le pape François, même s’il aime la simple appellation d’évêque de Rome, exerce pleinement les prérogatives qui lui reviennent en sa qualité de souverain pontife de l’Église universelle, y compris en ce qui concerne la politique de canonisations. Or cette politique est particulièrement délicate parce que, d’après la doctrine actuellement en vigueur et en dépit des opinions contraires que l’on trouve chez les théologiens, les canonisations engagent –contrairement aux béatifications – le magistère infaillible de l’Église.

En effet, lorsque le motu proprio “Ad tuendam fidem” de Jean-Paul II a été promulgué, en 1998, il a été accompagné d’une “Note doctrinale” présentée en annexe et signée par celui qui était alors le cardinal Joseph Ratzinger. Dans cette note “les canonisations des saints” sont citées de manière explicite parmi “les doctrines proposées infailliblement” par l’Église “de manière définitive”, en même temps que d’autres doctrines telles que l’ordination sacerdotale exclusivement réservée aux hommes, l’illicéité de l’euthanasie, l’illicéité de la prostitution et de la fornication, la légitimité de l’élection d’un pape ou de la célébration d’un concile œcuménique, la déclaration de Léon XIII relative à l’invalidité des ordinations anglicanes.

Voilà pourquoi, dans ce domaine, on peut également considérer comme spectaculaire la décision prise par le pape François de procéder à la canonisation de Jean XXIII – elle sera célébrée le 27 avril prochain – selon la procédure ordinaire, mais sans qu’un miracle attribué à l’intercession de celui-ci et survenu après sa béatification ait été vérifié canoniquement.

Il s’agit là d’une dérogation particulièrement éclatante. C’est précisément dans l’exercice de son pouvoir de souverain pontife que François a décidé que pour canoniser Angelo Roncalli, il n’était pas nécessaire, à titre tout à fait exceptionnel, qu’il y ait eu un miracle et que la constante réputation de sainteté qui entoure la personne de Jean XXIII ainsi que la “fama signorum” – c’est-à-dire les grâces qu’on lui attribue et qui continuent à faire l’objet de témoignages, même si aucune d’entre elles n’a été certifiée canoniquement en tant que miracle en bonne et due forme – seraient suffisantes.

En pratique, sur ce point aussi, François a utilisé au maximum le pouvoir pontifical dont il dispose en tant que chef de l’Église universelle, pour prendre une décision qui paraît être sans précédent dans le domaine des causes de canonisation concernant des personnes n’ayant pas subi le martyre.

Lu sur chiesa.espresso.repubblica.it

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