Ce qui s’est passé à Médine qui ne passe pas
Par Philippe Simonnot1 pour Nouvelles de France
“Dieu a fait descendre de leurs forteresses
Ceux des gens du Livre ralliés aux factions.
Il a jeté l’effroi dans leurs cœurs.
Vous avez alors tué une partie d’entre eux
Et vous avez réduit les autres en captivité.
Il vous a donné en héritage
Leur pays, leurs habitations, leurs biens
Et une terre que vos pieds n’ont jamais foulée.
– Dieu est puissant sur toutes choses.”
Coran 33, 26-27
Après les tueries particulièrement cruelles de Montauban et de Toulouse, le tabou de l’islam reste toujours intact dans notre pays. C’est même la seule religion que l’on ne puisse attaquer. On ose seulement, avec beaucoup de prudence, se poser des questions sur certaines dérives de l’islamisme, du salafisme et autres extrémismes de la religion musulmane. Une lecture attentive de certains textes sacrés de l’islam pourrait faire douter, toutefois, de la bénignité d’une religion présentée comme inspirée du « respect de la vie » par ses porte-paroles en France. Surtout en ce qui concerne les juifs.
Les rapports du Prophète avec les juifs – ô combien significatifs pour un pieux musulman – sont pourtant exemplaires, si l’on ose dire. On sait vaguement que la relation de Mohammed2 avec les juifs de Médine a été difficile. On a ouï dire qu’elle s’est terminée par un massacre. Ce que l’on sait moins en France, c’est l’égorgement de centaines de juifs par le Prophète lui-même (voir encadré). Ce détail n’apparaît pas dans les biographies de Mohammed que l’on trouve en ce moment dans les librairies. Nous allons en donner trois exemples, parmi d’autres : les livres de Maxime Rodinson, Mahmoud Hussein, Tarik Ramadan. Dans les trois cas, pourtant, l’exécution des juifs est pleinement justifiée. Mais si elle est pleinement justifiée, pourquoi ne pas indiquer le nom du bourreau ?
Il est urgent, aujourd’hui, d’aller regarder d’un peu plus près cette auto-censure étrange, et finalement dangereuse pour nos concitoyens, qu’ils soient juifs, chrétiens ou musulmans ou qu’ils n’en aient rien à faire.
Le Mahomet de Maxime Rodinson a fait date, étant donné la notoriété de son auteur, un orientaliste de grand renom. Publié pour la première fois en 1961, il a été maintes fois réédité. Grâce à son prix modeste de livre de poche, il est assuré, aujourd’hui encore, d’une très large diffusion. C’est dire l’importance et l’influence de cet ouvrage, qui passe communément pour un livre de référence.
Rodinson était issu de parents communistes juifs russo-polonais ayant fui les pogroms de Russie pour s’installer à Paris ; ils moururent à Auschwitz en 19433. Son Mahomet est surtout une paraphrase des textes déjà existants qui s’efforce de donner une interprétation objective, « matérialiste », pour ne pas dire marxiste, des documents qu’il a sous les yeux. Il est assez curieux de voir ce disciple de Marx invoquer la « Voix d’En-Haut » qui s’adresse à Mohammed à des moments-charnières.
Al-Sîra, le livre de “Mahmoud Hussein », a été salué par la presse comme un chef d’œuvre d’érudition et d’objectivité au moment de sa sortie en librairie en 2005. Mahmoud Hussein est le pseudonyme commun de deux auteurs égyptiens : Baghgat Elnadi et Adel Rifaat. Le premier est d’origine musulmane ; le second d’origine juive, converti à l’islam, est le frère de Benni Levy, alias Pierre Victor, secrétaire de Jean-Paul Sartre lors des dernières années du philosophe français. Les deux compères furent à l’époque de Nasser d’ardents militants laïcs et marxistes. Entre 1978 et 1988, les « Mahmoud Hussein » ont dirigé Le courrier de l’Unesco, publié en 30 langues et diffusé dans 120 pays.
Contrairement à ce qu’indique le titre de leur ouvrage, cet « Al-Sîra » n’est pas la traduction littérale de la biographie du prophète qui porte le même nom. « Le présent ouvrage, lit-on sur la quatrième page de couverture du deuxième tome, en donne une lumineuse synthèse [sic], sous la forme d’un découpage-montage qui intègre les événements significatifs de la vie du Prophète, sélectionnés sans aucun parti pris doctrinal, ordonnés chronologiquement et ne comportant aucun ajout de la part des auteurs ». Malheureusement, le texte ne renvoie à aucune référence du corpus original. Il est donc très difficile de vérifier si ce « découpage-montage » lui est fidèle.
Le troisième livre qui nous intéresse est Muhammad , Vie du Prophète , Les enseignements spirituels et contemporains, de Tarik Ramadan, sorti des Presses du Châtelet en 2006. « On ne trouvera pas dans cet ouvrage, exposés de façon détaillée les faits historiques, les grandes réalisations ou les guerres célèbres, avertit l’auteur. Ce qui a retenu notre attention […], ce sont surtout des situations, des attitudes, des propos à même de révéler la personnalité de Mohammed en ce qu’elle a à nous transmettre et à nous enseigner aujourd’hui. » Acceptons-en l’augure. Tarik Ramadan est le petit-fils par sa mère d’Hassan el Banna, fondateur de l’association égyptienne des Frères musulmans et fils de Saïd Ramadan, fondateur de la branche palestinienne de ce mouvement. Il enseigne actuellement à l’Université d’Oxford.
La marche au supplice des juifs de Médine en trois étapes
Résumons ce qu’il faut bien appeler la marche au supplice des juifs médinois. Elle se déroule en trois étapes, correspondant aux trois tribus juives qui vivaient depuis fort longtemps à Médine, les Banû Qaynuqa’, les Banû Nadîr et les Banû Qurayza. Rappelons qu’ayant quitté La Mecque, Mohammed arrive à Médine en 622, qui marque l’An 1 de l’Hégire. Il fonde la première communauté musulmane sur un pacte, qui stipule notamment : « Les juifs forment une seule communauté avec les Croyants […]. Ceux des juifs qui nous suivent ont droit à notre aide et à notre appui tant qu’ils n’auront pas agi incorrectement contre nous […]. Les juifs contribueront aux dépenses avec les Croyants ». C’est ce qu’on a appelé par la suite le « Pacte de Médine ».
Le drame commence par une affaire banale (et très actuelle), liée au port du voile !
Une bédouine, mariée à un Médinois, et adepte de Mohammed se rend au souk des Qaynoka vendre quelques produits de sa culture. Elle s’asseoit près de l’atelier d’un orfèvre de cette tribu. Des jeunes juifs se moquent d’elle et veulent la pousser à lever son voile. Elle s’y refuse énergiquement. Alors, l’orfèvre réussit sans se faire voir à fixer ses jupes de telle sorte qu’en se levant elle découvre toute la partie inférieure de son anatomie. L’honneur de tous les parents de cette femme est mis en cause. Un musulman accourt et tue l’orfèvre. Il est tué à son tour par des juifs qui lui tombent dessus.
A la suite de quoi, Mohammed fait avec son armée le blocus du fortin où se sont réfugiés les Qaynoka, empêchant les juifs de se ravitailler. Les deux autres tribus juives n’interviennent pas. Après quinze jours de blocus, les assiégés se rendent. Mohammed les laisse en vie à condition qu’ils quittent Médine dans les trois jours et qu’ils laissent leurs biens aux vainqueurs.
Voici maintenant que Mohammed entreprend de collecter des fonds. Il s’adresse, entre autres, à la tribu juive des Banou Nadîr. Cette dernière « paraît » hésiter à obtempérer. L’ange Gabriel informe le Prophète que les Banû Nadîr désirent l’éliminer. Sans autre forme de procès, Mohammed envoie un des siens, un Médinois d’une tribu alliée aux Nadîr, leur porter un ultimatum. Dans un délai de dix jours ils devraient quitter l’oasis sous peine de mort ; ils pourraient emporter leurs biens mobiliers et recevraient une partie du produit de leurs palmiers. Le ton du message est sévère : « Sortez de ma ville et ne cohabitez plus avec moi après la trahison que vous avez projetée contre moi. »
Les Nadîr résistent. Dès lors, Mohammed décide d’en finir. Il commence à couper les palmiers des Nadîr. Démoralisés, les Nadîr capitulent au bout de quinze jours. Les conditions de la reddition sont « naturellement » devenues plus dures : « Sortez d’ici, ordonne le prophète vous avec vos sangs [c’est-à-dire vos vies] et ce que pourront porter vos chameaux, sauf votre armement. » Ils partent.
Le prophète compte son butin : 50 cuirasses, 50 casques et 340 épées en bon état. Et puis les terres des juifs, leurs palmeraies et ce qui restait de leurs maisons. Mohammed explique aux Médinois que, jusque-là, ils ont eu la charge des émigrés mekkois, incapables de subvenir par eux-mêmes à leurs besoins. Il est de leur propre intérêt que ceux-ci aient des terres dont ils pourraient vivre sans plus quémander auprès de leurs frères. En vertu de ce raisonnement, les terres des juifs sont distribuées aux seuls musulmans d’origine mecquoise. Le prophète ne s’oublie pas dans la distribution. Il acquiert de bonnes terres où, entre les palmiers, pousse de l’orge. Désormais, il ne dépend plus de personne.
C’est à cette époque que se place l’assassinat du vieux juif Abou Râfi, résidant dans l’oasis juive de Khaybar, à 150 km au nord de Médine, par quelques musulmans de la tribu médinoise des Khazraj. L’ « expédition » des meutriers a été bénie par le Prophète, qui a prescrit toutefois au commando de ne tuer ni femmes ni enfants. La mission est remplie, le vieillard été tué dans son lit. Les assassins, qui ont réussi à fuir, discutent pour savoir qui a porté le « glorieux » coup fatal. Mohammed les départage en examinant les épées : celle qui a des traces de nourriture désigne le meurtrier. Abou Râfi devait être en pleine digestion.
Enfin, vient le tour de la troisième tribu, les Banû Qurayza. L’ange Gabriel, toujours lui, informe le Prophète que Dieu lui commande de se rendre immédiatement auprès des Banû Qurayza qui l’avaient trahi et qui n’avaient pas été loin de provoquer la perte et l’extermination de la communauté musulmane. Mohammed ne perd pas de temps. Il dirige ses troupes vers le village fortifié de la tribu juive. Au bout de 25 jours, les assiégés perdent courage et demandent à Mohammed de les laisser partir dans les conditions où étaient partis les Nadîr. Il refuse. Il veut cette fois une reddition inconditionnelle.
Est désigné comme arbitre un certain Sa’d, venant d’une tribu alliée des juifs. Il rend sa sentence : Tous les mâles pubères seront tués, les femmes et les enfants réduits en esclavage, les biens partagés. Mohammed s’écrie : « Tu as jugé suivant la sentence d’Allah lui-même en haut des sept cieux ».
Le lendemain, Mohammed fait creuser de grandes fosses dans le marché de Médine. On y mène les Juifs ligotés par paquets, et ils sont égorgés un à un de la manière que l’on a dit. Le Prophète prend pour lui comme concubine la belle Ayhâna, veuve d’un des exécutés. Elle se convertit à l’islam. Peu après sa sentence rendue, Sa’d, l’arbitre, meurt. « C’était un si saint homme que le trône d’Allah au ciel en fut ébranlé”.
Voyons maintenant comment nos trois auteurs justifient l’exécution.
Rodinson : politiquement, le massacre des juifs était « la meilleure solution »
Pour Rodinson, Mohammed était venu à Médine plein de bonnes intentions. Il n’avait aucune prévention à l’égard des juifs. Bien au contraire, il pensait que le contenu du message qu’il annonçait était substantiellement identique à celui que les juifs avaient depuis longtemps reçu sur le Sinaï. Il avait même du respect pour l’ancienneté de la révélation faite à Moïse. Le prophète était « intelligent, affable, sympathique », note notre auteur. C’était en somme une acquisition de valeur pour la communauté médinoise. Mais il trouve en face de lui, dans les trois tribus juives, « des opposants potentiels beaucoup plus nombreux et beaucoup plus dangereux » que ceux qu’il avait rencontrés à La Mecque.
Il se trouve que la « Voix d’En-Haut » aurait fait comprendre à Mohammed qu’il fallait rejeter l’idée que Dieu avait eu besoin de se reposer après les six jours de la Création ; « c’était la condamnation de l’idée juive du sabbat », estime Rodinson. D’autre part, il ne semble pas que Mohammed ait jamais pensé à faire suivre toutes les minutieuses prescriptions alimentaires qu’observaient les juifs. Il les considérait, selon la ligne de pensée chrétienne, comme une punition infligée par Dieu pour leurs péchés. Il se ralliait à une version réduite de ces interdictions : ne pas manger de porc, ni du sang, ni des animaux morts de mort naturelle, étranglés ou sacrifiées aux idoles. On trouve trace de ces mesures dans le Coran lui-même (4, 160, 161) :
« Nous avons interdit aux juifs d’excellentes nourritures
Qui leur étaient permises auparavant :
C’est à cause de leur prévarication ;
Parce que ils se sont souvent écartés du chemin de Dieu,
Parce qu’ils ont pratiqué l’usure
Qui leur était pourtant défendue ;
Parce qu’ils ont mangé injustement les biens des gens »
« Enfin, conclut Rodinson sur ce point, l’effort d’adaptation avait été si loin que certaines modes juives avaient été adoptées par les musulmans ». Que s’est-il donc passé ?
D’abord, explique Rodinson, les juifs ne répondent pas aux « avances » du prophète « comme Mohammed l’attendait ». Dans cette simple phrase, il est supposé 1) que Mohammed a fait des avances et 2) que les réponses à ces avances doivent être celles qu’il attendait !
Et pourquoi cette non-réponse des juifs dans les formes attendues ? « Les grandes catastrophes qui avaient atteint le peuple élu avaient conduit celui-ci à un raidissement intransigeant et à une méfiance accrue envers l’étranger », argumente Rodinson. Cependant le comportements des juifs de Médine est d’autant moins excusable que, acceptant depuis longtemps la coexistence avec des « païens complets », ils « auraient dû se féliciter, du strict point de vue religieux, de voir s’installer à côté d’eux les adeptes monothéistes de Mohammed ». Ces juifs sont vraiment d’autant plus stupides qu’ils ont en face d’eux les adeptes de Mohammad qui, « eux, outre leur adhésion aux idées fondamentales et aux préceptes noachiques4, mettaient une grande bonne volonté à observer une partie des rites juifs. » Rien ne s’opposait donc en principe à la coexistence pacifique des deux communautés, estime l’auteur.
Mais alors, comment expliquer le conflit ? Réponse de Rodinson : « Les tribus juives de Médine n’avaient sans doute pas renoncé à exercer une grosse influence politique sur l’agglomération médinoise. Il leur apparut clairement, assez vite sans doute, que l’attitude de Mohammed et l’influence qu’ils prenaient étaient de nature à contrarier cet objectif. Mais surtout Médine était un centre intellectuel. Il est certain que les intellectuels juifs ne purent se résoudre à confirmer la validité de la Révélation adressée à Mohammed. Détenteurs de l’Ancienne Ecriture, c’est à eux qu’on s’adressait pour demander un avis sur ce nouveau message […] Même s’ils avaient eu de la bonne volonté pour le nouveau mouvement, il leur était difficile de consacrer ce qui leur semblait être les élucubrations incohérentes d’un ignorant.5 »
En bref, les juifs ne veulent renoncer à leur pouvoir sur Médine ni sur le plan politique ni surtout sur le plan intellectuel.
Aussi, après avoir remporté une grande victoire à Badr sur ses ennemis Mohammed aurait « sérieusement » (sic) commencé à s’attaquer aux juifs. Il prend pour cible les Banou Qaynoka, « sans doute le plus faible des groupes juifs », explique Rodinson. Ce qui détermine le prophète à les attaquer est « sans doute » un calcul politique. Les Banû Qaynuqa’ s’étaient alliés à Abdallah ibn Obayy. Ce puisant chef médinois avait adhéré à la cause de Mohammed, mais « sans lui apporter ce don total du cœur et de l’esprit que seuls apprécient les chefs de parti ». Autrement dit, Ibn Obayy garde une certaine indépendance, il est donc dangereux et soupçonnable de se retourner un jour contre « la Cause ». Il faut « préventivement l’empêcher de nuire et pour cela le priver des forces qui pouvaient l’appuyer éventuellement. »
Après l’expulsion des Banû Qaynuqa’, « les juifs commençaient à avoir vraiment peur », observe Rodinson. C’est qu’« ils formaient un corps trop puissant encore et trop inassimilable pour que le statu quo puisse durer longtemps. »
En ce qui concerne le complot de la deuxième tribu, celle des Banû Nadîr, révélé à Mohammed par l’ange Gabriel, « la chose était plausible, note Rodinson, et un minimum d’intuition politique pouvait le faire soupçonner à quelqu’un de moins intelligent que le prophète. »
Pour la troisième tribu, c’est encore plus évident : la seule présence des Banou Qorayza a été une inquiétude constante pour Mohammad pendant le siège que vient de subir Médine de la part des armées de La Mecque. « Il était clair qu’il fallait se débarrasser de ce groupe dangereux », note Rodinson. D’où l’exécution en masse.
« Il est difficile de juger le massacre des Qoraysa, écrit notre auteur. Il faut penser aux moeurs de l’époque qui étaient fort rudes. » Il n’en reste pas moins que le massacre était « d’un point de vue purement politique un acte fort avisé ». Et de conclure : « Les Qoraysa étaient un danger permanent à Médine. Les laisser partir, c’était renforcer le centre d’intrigues antimusulmanes de Khaybar. Seuls les morts ne reviennent pas. La tuerie contribuerait au surplus à épouvanter et à décourager les ennemis. La solution choisie était sans conteste la meilleure, politiquement s’entend. Et on sait bien que les hommes politiques n’acceptent les considérations humaines que lorsqu’elles deviennent elles-mêmes des facteurs politiques ou quand ils ne peuvent faire autrement. A l’aube rouge de mai 627, qui se levait sur les fosses fraîchement comblées du marché de Médine, Mohammed pouvait regarder l’avenir avec confiance.6 »
Mahmoud Hussein : des juifs malins, perfides, menteurs et avares
Voyons maintenant les explications de « Mahmoud Hussein ».
Tant que le « Pacte de Médine » est respecté, les querelles doctrinales entre musulmans et juifs se poursuivent, mais aussi le commerce, les visites réciproques, le voisinage entre familles. « Les choses vont dégénérer, lorsque l’une ou l’autre des tribus juives est amenée à rompre le pacte et à se retourner contre Mohammed, en faisant cause commune avec ses ennemis polythéistes », écrit Mahmoud Hussein. La couleur est clairement annoncée : ce sont les juifs qui ont rompu le pacte pour s’allier avec les ennemis de Mohammed. On ne posera pas la question : pourquoi diable les juifs auraient-ils fait alliance avec les « ennemis polythéistes » ?
D’autre part, plusieurs épisodes rapportés par Mahmoud Hussein d’après la Sîra présentent les juifs comme des « malins », des « menteurs », des « perfides », des « avares ». Dans les discussions entre des rabbins et Mohammed, il est montré que les juifs se montrent le plus souvent de mauvaise foi. Un exemple en est donné à propos de la question de la lapidation pour adultère :
« Un homme juif marié avait commis l’adultère avec une femme juive mariée. Les rabbis se réunirent et dirent : Envoyons cet homme et cette femme chez Mohammed, demandons-lui comment ils doivent être jugés et laissons-le rendre le jugement. S’il les condamne à la flagellation […], alors nous saurons que c’est un roi. Nous pourrons le suivre. Mais s’il les condamne à la lapidation, nous saurons que c’est un prophète. Prenons garde alors qu’il ne nous dépossède de tout ce que nous avons ».
Pour répondre à cette question, Mohammed se rend à la « Maison des Ecoles » juive et demande qu’on lui lise la Torah. Un rabbi lui en fait la lecture « mais cachant de sa main le verset de la lapidation », omet de le citer. Mohammed s’apprête à partir, puis sur le pas de la porte, il dit : « Je vous en conjure, par Dieu qui a révélé la Torah à Moïse, dîtes-moi ce qu’on trouve dans la Torah, lorsque l’adultère est commis entre un homme et une femme mariés. » Les juifs répondent : « On trouve la flagellation ». Alors Mohammed : « Malheur à vous, comment pouvez-vous ignorer le jugement de Dieu, après qu’il vous a été révélé ? ». Les juifs reconnaissent qu’ils ont laissé tomber la lapidation dans l’oubli. Mohammed déclare : « Alors je serai le premier à rétablir l’ordre de Dieu en Son Livre.7»
Autre démonstration de la malignité des juifs :
« Certains juifs allèrent dirent aux musulmans
- Cessez de dépenser votre argent. Sinon, la pauvreté vous guette. Surtout ne le gaspillez pas en aumônes, dont vous ne savez pas à qui elles sont destinées. »
Sont donnés des détails de l’exécution de Huyayy, le chef des Banû Nadîr. Il est amené devant Mohammad « les mains liées à son coup, portant une robe rouge qu’il avait déchirée afin que personne ne s’en emparât après sa mort ». Le prophète lui dit : « Le Tout-puissant nous a donc permis de triompher de toi, ennemi de Dieu ! » Huyayy répond : « Par Dieu, je ne regrette pas de t’avoir combattu. J’ai cherché la grandeur où j’ai cru la trouver, mais Dieu a voulu que tu l’emportes. J’aurai tout tenté, mais celui que Dieu abandonne n’a plus de recours ». Puis, s’adressant aux juifs : « Nul ne contrevient à la volonté de Dieu. C’est un décret écrit, une malédiction que Dieu a prononcé à l’encontre des fils d’Israël 8». Voici donc un juif qui reconnaît que son peuple est maudit. Sur ordre de Mohammed, on lui tranche la tête.
Pour Mahmoud Hussein, Mohammed a agi « selon les circonstances » : « Les Banû Qaynuqa’, qui le provoquent après sa victoire de Badr, évitent le pire. Les Banû Nadîr, qui ont tenté de l’assassiner, sont bannis. Les Banû Qurayza, qui ont comploté contre lui alors que Médine est encerclée, sont mis à mort ». Ce qui n’empêche pas Mahmoud Hussein d’écrire trois pages plus loin : « Même au cours de cette période, cependant, le Prophète ne cherche pas à imposer de force l’islam aux gens du Livre auxquels s’applique le verset : Pas de contrainte en matière de religion » (Coran 2, 256).
Tariq Ramadan : les juifs de Médine ont trahi
Pour Tariq Ramadan, le Prophète,lors de son installation à Médine, n’exige aucune conversion et clarifie les termes d’une relation qu’il veut « égalitaire » dans la nouvelle société. « Par la suite, au gré des conflits et des alliances trahies, la situation s’envenimera et les relations avec l’une ou l’autre des tribus juives se détérioreront gravement. Ces développements historiques ne modifieront néanmoins en rien les principes qui fondaient les relations entre les musulmans et les juifs : reconnaissance et respect mutuels, justice devant la loi ou lors des traitements des litiges entre les individus et/ou les parties ».
En ce qui concerne la première tribu juive, celle des Banû Qaynuqa’ , Tariq Ramadan note qu’avant même l’incident du voile de la Bédouine, « les informations les plus alarmantes – en termes de possible complot et de trahison – venaient au Prophète ». Preuve de leur perfidie : Les juifs de cette tribu, après l’affaire de la Bédouine dévoilée, n’ont pas porté le différend devant Mohammed comme le Pacte de Médine le leur impose. « La réaction de Mohammad fut prompte et ne permit pas aux traîtres et aux hypocrites de tirer parti de la situation. ». On connaît la suite.
Dans le cas du conflit avec la deuxième tribu, Tariq Ramadan explique comment Mohammed en est venu à cette mesure extrême : couper les palmiers des Banû Nadîr. « Ce fut la seule et unique fois que Mohammad allait s’en prendre aux arbres ou à la Nature, en situation de guerre comme de paix […]. Jamais plus, en effet, le Prophète ne manquera de respect à la Création, et il répétera maintes fois […] que ce respect doit être sans faille, même en temps de guerre ». Toutefois, cette stratégie s’avère « particulièrement efficace ». « Les Banû Nadîr, assiégés et sans ressources, imaginèrent que les musulmans s’en prenaient aux biens les plus précieux de la cité, et qu’il ne leur resterait plus aucune richesse s’ils persévéraient dans leur résistance. Ils se rendirent donc. »9
En ce qui concerne l’exécution des hommes de la troisième tribu, soupçonnés d’avoir comploté avec l’ennemi, Tariq Ramadan expose les arguments suivants : « Le Prophète avait jusqu’alors gracié les prisonniers […]. Sa clémence n’avait eu aucun effet sur la plupart de ceux qui en avaient bénéficié, et elle envoyait un message peu compréhensible dans toute la péninsule : Mohammed, pensait-on, contrairement aux usages arabes et même à ceux des juifs, ne tue jamais ses prisonniers. Sa clémence, maintes fois trahie, était perçue comme un signe de faiblesse, sinon de folie. Par ailleurs, la trahison des Banû Qurayza était telle qu’elle aurait signifié, si leurs plans s’étaient réalisés, la mise à mort des musulmans, trompés de l’intérieur et écrasés par une armée de dix mille combattants.» Le résultat de la mise à mort est éloquent pour notre auteur : « Le destin des hommes des Banû Qurayza envoya un message fort à toutes les tribus avoisinantes : les trahisons et les agressions seraient désormais durement châtiées. Le message fut entendu, car une telle situation ne se reproduisit plus jamais du vivant du Prophète.10 »
Ainsi termine-t-on ce périple par là où on l’avait commencé, c’est-à-dire par la politique, pour le pas dire la realpolitik. Où est la religion ?
Le Prophète ne cessa de les égorger jusqu’à leur extermination totale « Le Prophète ordonna de tuer tous les hommes des Banû Qurayza [la dernière des trois tribus juives de Médine], et même les jeunes, à partir de l’âge où ils avaient les poils de la puberté. « Le Prophète ordonna de faire descendre de leurs fortins les Banû Qurayza et de les enfermer dans la maison de Bintal-Hârith. Il alla ensuite sur la place du marché de Médine […] et y fit creuser des fossés. Puis il fit venir les Banû Qurayza par petits groupes et leur coupa la gorge sur les bords des fossés. Parmi eux il y avait Huyayy ibn ‘Akhtab, l’ennemi de Dieu, et Ka’b ibn Asad, le chef des Qurayza. Ils étaient six cents à sept cents homme. On dit huit cents et même neuf cents. Pendant qu’ils étaient amenés sur la place par petits groupes, certains juifs demandèrent à Ka’b, le chef de leur clan : – Que va-t-on faire de nous ? – Est-ce que cette fois vous n’allez pas finir par comprendre ? Ne voyez-vous pas que le crieur qui fait l’appel ne bronche pas et que ceux qui sont partis ne reviennent pas ? C’est évidemment la tête tranchée ! Le Prophète ne cessa de les égorger jusqu’à leur extermination totale.11 » |
Bibliographie :
Rodinson , Maxime, (1961), Mahomet, Politique, Editions du Seuil.
Mahmoud Hussein, AL – SÎRA, Le Prophète de l’islam raconté par ses compagnons, Grasset, deux tomes, 2005, 2007
Tarik Ramadan, Muhammad , Vie du Prophète , Les enseignements spirituels et contemporains, Presses du Châtelet, 2006.
Ibn Hichâm, La biographie du prophète Mahomet Texte traduit et annoté par Wahib Atallah, Fayard, 2004.
Notes :
1. Docteur ès sciences économique, Philippe Simonnot a consacré une partie de son œuvre aux religions issues de la Bible et à leurs rapports. Est venu d’abord Meir Kahane, le rabbin qui fait peur aux juifs, avec Raphaël Mergui, (Favre, 1985), traduit en anglais. En 1999, les Presses Universitaires de France publient Juifs et Allemands. Préhistoire d’un génocide. En 2005, Les Papes, l’Église et l’argent paraissent chez Bayard. Le Marché de Dieu. Économie du judaïsme, du christianisme et de l’islam (Denoël, 2008), est traduit l’année suivante en italien et obtient le Prix du meilleur essai étranger Città delle Rose. L’Enquête sur l’antisémitisme musulman est publiée par Michalon début 2010. Enfin, vient un conte moral qui se lit comme un roman policier : Delenda America, Confessions de Joseph Altenberg, juif converti à l’islam et futur martyr, aux Éditions Baudelaire, mai 2011. L’ouvrage est publié en livre numérique ebook pour l’anniversaire des dix ans des attentats du 11 septembre 2001 chez ToucheNoire.
2. Nous écrivons le nom du prophète de l’islam de la manière la plus fidèle possible à l’origine arabe.
3. Rodinson « impute une part de responsabilité aux juifs eux-mêmes dans le sort qui leur a été réservé », écrit Jean Daniel dans La Prison juive, Odile Jacob (2004), p. 92.
4. A savoir : pratiquer l’équité, s’abstenir de blasphémer le nom de Dieu, de pratiquer l’idolâtrie, l’immoralité, le meurtre, le vol, et de consommer le membre pris à un animal vivant.
5. Rodinson (1961), p.192.
6. Robinson (1961), p. 247-8.
7. Mahmoud Hussein (2007), p. 61-62.
8. Mahmoud Hussein (2007), p. 358.
9. Tariq Ramadan (2006), p. 199.
10. Tariq Ramadan (2006), p. 222.
11. Sîra, 2, 240-241, traduit par Wahib Atallah, Fayard, 2004, p. 277.
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