Mottainai?

En japonais, le mot “mottainai“ exprime le regret, voire le dégoût, que l’on peut éprouver face au gaspillage d’un objet ou d’une ressource. Mais au-delà de sa définition, le terme mottainai désigne avant tout un état d’esprit ancré depuis longtemps dans le pays et remis au goût du jour au début des années 2000 par des écologistes nippons. Equivalent au 3R à l’occidentale (Réduire les déchets, Réutiliser, Recycler), il intègre une dimension philosophique et religieuse supplémentaire en complétant l’acronyme par un 4ème R signifiant « Respecter ».

L’idée de respect de la nature, considérée comme sacrée, est profondément ancrée dans la culture japonaise. Il en va de même pour le respect des objets, qui dans la mythologie Shinto, sont dotés une âme. L’idée de limitation des déchets et du gaspillage exprimée dans le Mottainai rejoint également les notions de sobriété, d’ascétisme et d’interdépendance véhiculées par la philosophie bouddhiste. Fort de ces racines, l’esprit « mottainai » est donc bien plus qu’un slogan écologiste. Pour Lucie du Rocher, chercheuse en économie à l’université de Paris 1 , il s’agit au Japon d’ un véritable “état d’esprit présent qui ne concerne pas uniquement le gâchis alimentaire, mais se traduit plus généralement par le respect de la nature et la gratitude qui doit être témoignée pour les ressources naturelles. C’est aussi un sentiment de regret face au temps perdu, aux ressources gaspillées et aux compétences mal ou sous-exploitées. »

Le mottainai s’est imposé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. L’archipel pauvre en ressources naturelles, qui sort du conflit avec une économie exsangue et un territoire ravagé, apprend vite à ne pas gaspiller. Chaque denrée est économisée et on utilise au mieux chaque objet pour le faire durer le plus longtemps possible. Si depuis, le Japon est devenu l’un des pays les riches au monde, certains réflexes perdurent sur ce territoire exigu dont la population a quasiment doublé depuis la Seconde Guerre mondiale . « Les densités de population et la promiscuité confortent les Japonais dans leur profond mépris pour le gaspillage et leur passion pour l’optimisation des ressources », explique le site Kichigai.com dans un article consacré au mottainai .

Au quotidien, le mottainai se traduit de multiples façons. A Tokyo, par exemple, de nombreux immeubles sont équipés de systèmes d’alimentation des chasses d’eau par des eaux usées. Lucie du Rocher cite également la remise au goût du jour depuis une dizaine d’années du furoshiki, un tissu apparu au Japon au VIIIe siècle pour conserver des objets de grande valeur. Aujourd’hui, il vise à remplacer les sacs plastiques et les papiers d’emballage. Quant aux employés des firmes japonaises, ils ont été priés en 2005 par leur Premier ministre Junichiro Koizumi d’adopter le « cool biz » en été, autrement dit d’abandonner veste et cravate. Une véritable révolution – permise par une loi – et qui, cite Lucie du Rocher, aurait permis de réduire de 1,14 million de tonnes les émissions de dioxyde de carbone durant l’été 2006 grâce aux économies réalisées en baissant de 2°C les climatiseurs des bureaux.

Profondément japonais, le mottainai peut-il constituer une source d’inspiration pour l’Occident ? Oui, répond Kevin Taylor, un chercheur américain diplômé en philosophie de l’environnement à l’Université Southern Illinois, spécialiste du mottainai. Il s’appuie sur le concept pour suggérer aux pays occidentaux une nouvelle façon d’appréhender les enjeux du développement durable. En insistant sur l’éducation et la sensibilisation, il s’agirait de rendre naturelle et spontanée la mise en place par chaque individu de solutions concrètes pour éviter le gaspillage et la surconsommation.

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