Deux affaires préoccupent la Bretagne : l’état civil a refusé d’autoriser deux prénoms bretons car ils comportaient un tilde ou une apostrophe. Dans le même temps, il a validé des prénoms africains et d’Outre-mer que N’néné et Tu’iuvea.
Souhaitant donner un prénom breton à leurs enfants, deux couples rennais sont engagés dans un bras-de-fer judiciaire depuis plusieurs années avec l’administration locale. Le tribunal a en effet interdit les prénoms traditionnels Fañch et Der’chen à cause de leurs signes diacritiques : le tilde pour l’un et l’apostrophe pour l’autre. Mais deux prénoms africains ont parallèlement été attribués : N’néné et Tu’iuvea.
Selon la circulaire du 23 juillet 2014 relative à l’état civil, seuls certains signes diacritiques sont autorisés : à – â – ä- é – è – ê – ë – ï – î – ô -ö – ù – û – ü – ÿ – ç. Au-delà de la Bretagne, cette circulaire a aussi empêché une habitante du pays basque, Alexandra Ibañez, 33 ans, de léguer le tilde de son nom de famille à son fils, selon l’AFP.
C’est ce texte qu’ont invoqué les juges pour trancher le cas de Derc’hen et Fañch. Les parents du petit Derc’hen, aujourd’hui âgé de six ans, ont alors décidé de saisir le procureur qui leur a donné tort. La mairie leur a alors conseillé de préférer l’orthographe «Derchen», même si celle-ci modifie la prononciation du nom, le «c’h» se prononçant comme le «ch» allemand. L’indignation du couple n’a pas tardé à se propager dans la région. «Ce refus du “c’h” est sans doute une première», écrit Charlie Grall, président de Skoazell Vreizh, une association régionaliste qui a décidé de soutenir la famille.
«Nous sommes tous des Fañch»
Avant cela, l’association s’était déjà occupée du cas du petit Fañch, né en mai 2017. L’état-civil avait en premier lieu refusé ce prénom breton à cause du tilde non réglementaire, puis, sous la pression des élus et des médias, avait décidé de l’autoriser avec l’orthographe souhaitée par le couple.
Le procureur s’était alors empressé de saisir le tribunal, au nom du respect de la langue française. Le jugement prononcé par le tribunal de Quimper le 13 septembre n’a pas autorisé le tilde. «La nuance entre les deux prononciation est infime : il n’est pas établi que cet argument soit suffisant pour justifier qu’il soit fait obstacle à la recherche d’une cohésion nationale […]», a-t-il argumenté. Selon Ouest-France, les parents, qui ne comptent pas en rester là et mènent actuellement campagne avec l’association Skoazell Vreizh, ont réagi de leur côté : «Nous pensons que ce n’est pas le nom de Fañch qui menace l’unité nationale, mais le refus de reconnaître la diversité des langues du pays.»
De manière étonnante, d’autres prénoms comportant eux aussi des apostrophes ont été autorisés à Rennes au cours des dernières années : N’Guessan et Chem’s en 2014, D’jessy en 2015, N’néné et Tu’iuvea en 2016… Pour ajouter de la confusion à la confusion, la circulaire encadrant l’usage de diacritiques précise que «ces mêmes règles s’appliquent pour le nom de famille». Or, la réalité est moins simple, puisque de nombreux patronymes, comme celui du navigateur Armel Le Cléac’h comportent des apostrophes…
Face à ce qui ressemble à des incohérences dans l’application du droit, le maire socialiste de Rennes, ainsi qu’une vingtaine de députés de la majorité présidentielle, ont appelé la ministre de la Justice Nicole Belloubet à revoir la fameuse circulaire. «En attendant, deux familles qui ont librement choisi des prénoms bretons pour leurs enfants sont dans l’embarras, font face à des tracasseries et subissent une discrimination linguistique intolérable», déplore l’association Skoazell Vreizh.