Drieu la Rochelle, Brasillach… La chute des maudits dans le domaine public a irrésistiblement entraîné un réveil éditorial l’année dernière. A travers ces hautes figures, c’est toute la vie culturelle sous l’Occupation qui suscite un intérêt renouvelé chez les critiques et les historiens. L’ouvrage publié aux éditions du Rocher par Jean-Paul Lefebvre-Filleau, Ces Français qui ont collaboré avec le IIIe Reich, s’inscrit incontestablement dans cette vague.
Moraline et prisme grossissant
Ce pavé de plus de cinq cents pages n’est pas sans approximation, par exemple : « La zone libre n’est libre que de nom car elle est infestée d’espions allemands. » Est-ce à dire que la France d’aujourd’hui, infestée par la mainmise du renseignement américain sur toutes ses communications, n’est elle aussi « libre que de nom » ? Ou encore à propos de la Cagoule : « une organisation fasciste ayant des liens étroits avec le régime de Mussolini et celui d’Hitler », ce qui est aller un peu vite. L’introduction à l’ouvrage, confiée à Gilles Perrault, le « défenseur des droits de l’homme » qui déclarait : « Un adversaire, ça se combat. Mais un ennemi comme Le Pen, ça s’extermine » est, sans surprise, pleine de moraline. C’est semble-t-il un prérequis pour que de tels ouvrages ne soient pas dézingués à la première seconde de leur sortie par les tirs de barrage des antifascistes en peau de lapin.
Comme il est difficile de s’affranchir de l’habituel prisme déformant sur la période, la quasi-totalité des personnalités présentées sont envisagées par le petit bout de la lorgnette collaborationniste. Leurs prises de positions et leurs écrits ne sont pas remis en perspective dans le climat de l’époque (en tenant compte de la violence de la presse d’opinion, par exemple), et la grande complexité de certains parcours est réduite aux quatre années d’Occupation. Il aurait fallu à Jean-Paul Lefebvre-Filleau troquer son zoom pour un objectif grand-angle…
Un ouvrage auquel se référer
Mais ne faisons pas d’injuste procès à l’auteur, dont le livre témoigne d’un important travail de documentation lui permettant de brosser plusieurs dizaines de portraits des politiques, intellectuels, hauts fonctionnaires, militaires et voyous qui ont, peu ou prou, tendu la main à l’Allemagne victorieuse. Soulignons des notices particulièrement fouillées de « seconds couteaux », qui échappent la plupart du temps aux spécialistes de la période, tels Robert de Beauplan ou Alain Laubreaux. Sachant s’affranchir ici et là du politiquement correct pour rétablir l’histoire dans toute sa complexité, il n’hésite pas à écrire : « Pourchasser, châtier les collaborateurs, c’est aussi pour les victimes prendre une revanche. (…) Parfois, c’est un moyen d’obtenir un brevet de Résistance pour F.F.I. de la vingt-cinquième heure, d’éliminer un ennemi de classe, un concurrent commercial ou de se débarrasser d’un conjoint gênant. » Dont acte.
A juste distance, Lefebvre-Filleau sait même faire preuve d’empathie pour rendre avec brio le destin héroïque de deux réprouvés : Henri Fenet et Jean de Mayol de Lupé, malgré la radicalité de leurs engagements et tout ce qui l’en sépare. En résumé : un travail honnête dans l’ensemble et qui regorge de très précieuses informations biographiques, très rarement rassemblées en un même ouvrage.
Pierre Saint-Servant – Présent
Ces Français qui ont collaboré avec le IIIe Reich, par Jean-Paul Lefebvre-Filleau, éditions du Rocher.