Ainsi donc, Jacques Chirac serait proposé, par les bons offices de Jean-Pierre Raffarin et Thierry Breton, comme prochain prix Nobel de la paix. Finalement, pourquoi pas ? Barack Obama l’a bien eu, avant même d’avoir posé un pas à la Maison-Blanche. Quant à celui de la littérature, il a été octroyé à Bob Dylan. Remarquez que, rappelé de façon des plus opportunes par notre confrère Patrick Eudeline dans la dernière livraison de Rock & Folk (le plus vieux magazine de rock au monde, avant même son homologue américain Rolling Stone), il est souvent plus compliqué d’écrire une bonne chanson qu’un mauvais livre.
Jacques Chirac, donc. L’homme qu’on adorait détester dans les années quatre-vingt du siècle dernier. En mars 1988, avec mes confrères du Choc du mois, nous avions mitonné un assez joli dossier intitulé, couverture à l’appui : « Pourquoi Chirac ne sera jamais Président ». Il va sans dire que nous dûmes en rabattre ensuite, sachant qu’il n’y a pas qu’Alain Duhamel pour se vautrer dans ses pronostics. Une petite leçon d’humilité ne saurait nuire, en quelque sorte.
Jacques Chirac, toujours lui ; dont il convient de reconsidérer le bilan géopolitique, à la hausse comme à la baisse, la plus élémentaire des honnêtetés intellectuelles nous obligeant à reconnaître qu’il ne fut pas le pire du troupeau. Car s’il vota pour l’intervention militaire de la France, lors de la première guerre du Golfe, au contraire de ces deux députés ayant sauvé l’honneur de l’Assemblée nationale, Éric Raoult et Julien Dray, il convint en privé que « tout le monde en France était en train de se faire baiser ».
Plus tard, il se tint de manière héroïque face à cette soldatesque israélienne qui entendait l’empêcher de parler avec les Palestiniens de Jérusalem : “Do you want me to go back to my plane?” La classe. Classe qui allait ensuite atteindre des sommets en 2003, lorsque Jacques Chirac s’opposa, par Dominique de Villepin interposé, à une seconde ratonnade irakienne. Certes, en l’intervalle, il n’avait rien fait, ou si peu, pour interdire les bombardements de l’OTAN sur la Serbie… Depuis 1945, c’était la première fois qu’un pays chrétien se trouvait bombardé par des Occidentaux, et non par des barbares pas encore donnés pour « islamistes ».
Jacques Chirac avait coutume de dire : « Je ne crois pas au choc des civilisations.
Mais je pense qu’il existe des gens qui veulent provoquer ce choc. Et cela, je ferai tout pour l’empêcher… » La vérité oblige à dire que cet homme parvint malgré tout à respecter ce viatique. Car au contraire de François Mitterrand, homme du terroir et de cette littérature barrésienne, dont la plume était plus souvent mouillée de glaise française que d’encre de Chine, Jacques Chirac était l’homme du lointain. Croyait en un monde multipolaire, façonné par d’antiques civilisations, et n’estimait pas que les USA puissent avoir vocation à régenter le monde au nom d’on ne sait quelle destinée d’origine plus ou moins divine.
Et pourtant, ce fut lui qui fit biffer d’une hypothétique Constitution européenne toutes références aux racines chrétiennes de la France, références qui relèvent d’ailleurs plus du domaine factuel que de la simple opinion. Comme quoi ce potentiel prix Nobel de la paix est une personnalité plus complexe qu’il ne pourrait paraître au premier abord.
Aux vagins de reines et autres homards gonflables, il préférait ces arts primitifs ou premiers. Fin connaisseur de l’art asiatique, il ne cessa de plaider pour une sorte de nouveau contrat planétaire, économique et civilisationnel dont la France avait vocation à demeurer le garant.
Marrant, tout de même, cette manie qu’auront eue nos présidents de Cinquième République à nous faire regretter leurs prédécesseurs. Pompidou après de Gaulle. Giscard après Pompidou. Mitterrand après Giscard. Chirac après Mitterrand. Sarkozy après Chirac. Et Hollande après Sarkozy, qui l’eût cru ?
Il faudrait bien une femme pour mettre un coup de balai dans cette bicoque. On ne s’en porterait finalement pas plus mal.
Nicolas Gauthier – Boulevard Voltaire