Conte de la petite chatte noire au jabot crème

Il était une fois un homme et une femme qui venaient d’être chassés une fois de plus du seuil d’une hôtellerie. « Il n’y a pas de place pour vous ! » avait dit, hargneux, l’aubergiste, avant de claquer la porte. Avec la rapidité propre à cet animal, un chat s’était glissé hors de l’auberge juste avant que la porte ne se referme. Pour être exact, c’était une chatte de petite taille, avec des reflets roux et un jabot crème. Elle était mal nourrie, mal traitée par l’aubergiste qui ne semblait l’avoir recueillie que pour en faire usage de souffre-douleur.

La petite chatte noire au jabot crème suivit le couple. Il paraissait exténué. L’homme dit : « Arrêtons-nous sous cet auvent. Il n’a pas l’air si mal. » Au bout de trois minutes la femme dit : « Il y a des courants d’air terribles. Ça n’ira pas. » Par ma moustache et mes reflets roux, se dit la petite chatte, si on me l’avait demandé, je vous l’aurais dit, moi, qu’à cet endroit le vent souffle froid.

L’homme, la femme – et la petite chatte que, préoccupés, ils n’avaient pas remarquée – repartirent dans les rues. La femme dit : « Arrêtons-nous dans ce cabanon. Nous y serons à l’abri du vent. » Au bout de deux minutes l’homme dit : « Quelle humidité ! J’ai l’impression que mes os sont glacés. Ça n’ira pas non plus. » Par ma moustache et mon jabot, se dit la petite chatte, si vous me l’aviez demandé, je vous aurai renseigné : ce cabanon est l’endroit le plus humide du quartier.

Chard-conte-2

Ils repartirent, toujours sans s’apercevoir de la présence de la petite chatte. Celle-ci était inquiète. Pas pour elle-même (elle trouvait sa vie déjà meilleure), mais pour cet homme et cette femme. Elle voyait qu’ils devaient absolument trouver un abri. Au bout de quelques instants, on entendit l’homme : « Ah, foi de charpentier, par ma doloire et mon herminette, qui me fiche ce sacré petit bout de chat dans les pattes ? » Car la petite chatte avait décidé de signaler sa présence et, allant et venant dans les jambes de l’homme, elle avait manqué le faire trébucher plusieurs fois.

— Joseph ! dit la Vierge. Est-ce le bon exemple de langage ?

— Oui, pardonnez-moi, mais la situation est assez compliquée comme ça pour que cet animal, en plus, me fasse dégringoler.

— Regardez comme elle est jolie et menue. Et ses reflets roux ! Et son jabot crème ! Elle nous regarde avec plus de sympathie que l’aubergiste.

La petite chatte miaula avec autorité. Elle semblait indiquer de la suivre. « Suivons-la, dit la Vierge. Qui sait ? »

La petite chatte aux reflets roux, au jabot crème, partit d’un pas vif. Quand elle sentait qu’ils avaient du mal à suivre, car la Vierge était enceinte et marchait péniblement, elle s’arrêtait, tournait la tête vers eux, miaulait et repartait. Elle arriva devant une étable et se faufila par une étroite fenêtre. « Il doit faire froid là-dedans, des courants d’air en veux-tu en voilà et de l’eau qui goutte du toit », dit Joseph.

Il poussa la lourde porte, tira une lampe à huile de son sac et alluma la mèche. L’endroit ne paraissait pas si déplaisant. Un bœuf et un âne les regardaient avec étonnement. La petite chatte, qui avait l’air encore plus petite face à eux, se planta devant le bœuf, lui envoya, sec et rapide, un coup de patte sur le museau ; fit de même avec l’âne ; et leur ayant montré qu’elle avait autorité sur la maisonnée, elle sauta dans une mangeoire pleine de paille et s’y mit en boule. « Bon, dit Joseph, croyons-en le chat. S’il se couche ici, c’est que c’est l’endroit le plus chaud, le plus confortable et le plus sûr de la ville. » La petite chatte noire avec des reflets roux et un jabot crème s’endormit. Elle entrouvrait de temps en temps les paupières pour s’assurer que tout, bêtes et gens, était à sa place. Sans le savoir encore, elle réchauffait la mangeoire où tout à l’heure, à ses côtés, on coucherait l’Enfant.

Samuel Martin – Présent

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