Le Pape François au Conseil de l’Europe : “Europe, où es ta vigueur ?”

 

Recherche la paix et poursuis-la. Cette phrase de Saint Benoit – le Père de l’Europe – dans le prologue de sa règle, c’est presque comme si François l’avait prononcée, dans son discours aux membres du Conseil de l’Europe. Un discours consacré dans sa première et grande partie à la paix, « bien à conquérir et qui exige une vigilance absolue », a-t-il affirmé.

Tendre vers une paix aimée, libre, fraternelle
« La voie privilégié pour la paix, qui ne peut s’obtenir que par l’attitude constante d’initier des processus et de les poursuivre, c’est de reconnaître dans l’autre non un ennemi à combattre, mais un frère à accueillir », a insisté le Pape, s’appuyant sur le Bienheureux Paul VI : « Il ne suffit pas de contenir les guerres, de suspendre les luttes, (…) une paix imposée ne suffit pas, non plus qu’une paix utilitaire et provisoire; il faut tendre vers une paix aimée, libre, fraternelle, et donc fondée sur la réconciliation des esprits ».

Les plaies du trafic d’armes et de la marchandisation de l’être humain
Sur un tel sujet, le Pape ne pouvait manquer de mentionner ce « terrorisme religieux et international, qui nourrit un profond mépris pour la vie humaine et fauche sans discernement des victimes innocentes ». Une nouvelle fois, il a dénoncé le trafic d’armes qui « alimente » ce terrorisme « en toute tranquillité, et auquel est lié un autre trafic, celui des êtres humains : « L’Église considère que « la course aux armements est une plaie extrêmement grave de l’humanité et lèse les pauvres d’une manière intolérable. La paix est violée aussi par le trafic des êtres humains, qui est le nouvel esclavage de notre temps et qui transforme les personnes en marchandises d’échange, privant les victimes de toute dignité. Assez souvent, a remarqué le Pape, nous notons comment ces phénomènes sont liés entre eux. Le Conseil de l’Europe, à travers ses Commissions et ses Groupes d’Experts, exerce un rôle important et significatif dans le combat contre ces formes d’inhumanité », a-t-il rappelé.

L’image du peuplier emprunté à un poète italien
Comment l’Europe peut-elle poursuivre l’objectif ambitieux de la paix et y contribuer dans le monde ? En étant comme le « peuplier, avec ses branches élevées vers le ciel et agitées par le vent, son tronc solide et ferme, ainsi que ses racines profondes qui s’enfoncent dans la terre », a proposé Jorge Mario Bergoglio, d’après une description empruntée à poète italien du XXème siècle : Clemente Rebora. « L’élévation de la pensée, de la culture, des découvertes scientifiques est possible seulement à cause de la solidité du tronc et de la profondeur des racines qui l’alimentent. Si les racines se perdent, lentement le tronc se vide et meurt et les branches – autrefois vigoureuses et droites – se plient vers la terre et tombent. Ici, a-t-il avancé, se trouve peut-être l’un des paradoxes les plus incompréhensibles pour une mentalité scientifique qui s’isole : pour marcher vers l’avenir, il faut le passé, de profondes racines sont nécessaires et il faut aussi le courage de ne pas se cacher face au présent et à ses défis. Il faut de la mémoire, du courage, une utopie saine et humaine », a rappelé et affirmé François. Il a aussi appelé à rechercher cette « sève vitale qu’est la vérité » et mis en garde contre l’individualisme ambiant, qui conduit à la culture du déchet, à laquelle l’Europe n’échappe pas.

Europe, où es ta vigueur ?
Et le Pape d’enchaîner avec ce constat d’une Europe un peu à bout de souffle : « Aujourd’hui nous avons devant les yeux l’image d’une Europe blessée, à cause des nombreuses épreuves du passé, mais aussi à cause des crises actuelles, qu’elle ne semble plus capable d’affronter avec la vitalité et l’énergie d’autrefois. Une Europe un peu fatiguée et pessimiste, qui se sent assiégée par les nouveautés provenant des autres continents ». De là, ce vibrant appel à renouer avec les promesses du passé : À l’Europe, nous pouvons demander : où est ta vigueur ? Où est cette tension vers un idéal qui a animé ton histoire et l’a rendue grande? Où est ton esprit d’entreprise et de curiosité ? Où est ta soif de vérité, que jusqu’à présent tu as communiquée au monde avec passion ? » Et le Pape de conclure : « L’Europe doit réfléchir pour savoir si son immense patrimoine humain, artistique, technique, social, politique, économique et religieux est un simple héritage de musée du passé, ou bien si elle est encore capable d’inspirer la culture et d’ouvrir ses trésors à l’humanité entière ».

Les défis de l’Europe actuelle
Le Pape a consacré la dernière partie de son discours à deux défis actuels du continent européen, et qui « obligent à une créativité continue » : la multipolarité et la transversalité. « Aujourd’hui, a –t-il affirmé à propos de la première, l’Europe est multipolaire dans ses relations et ses tensions ; on ne peut ni penser ni construire l’Europe sans assumer à fond cette réalité multipolaire ». Quant à la transversalité, le successeur de Pierre a voulu faire appel à son expérience personnelle : « Dans les rencontres avec les politiciens de divers pays de l’Europe, j’ai pu remarquer que les politiciens jeunes affrontent la réalité avec une perspective différente par rapport à leurs collègues plus adultes (…) Cette donnée empirique indique une réalité de l’Europe contemporaine que l’on ne peut ignorer sur le chemin de la consolidation continentale et de sa projection future : tenir compte de cette transversalité qui se retrouve dans tous les domaines. Cela ne peut se faire sans recourir au dialogue, même inter-générationnel ». Dialogue qu’il a appelé à développer dans tous les domaines, y compris le domaine religieux, dans un esprit de compréhension et de respect mutuel ; et où le christianisme a un rôle et un apport particulier, notamment dans la lutte contre le fondamentalisme religieux, a-t-il analysé.

Protection de la vie humaine et accueil du migrant
Enfin, comme on pouvait s’y attendre, le Pape a appelé le Conseil de l’Europe à une réflexion commune sur le plan éthique. « Je pense particulièrement, a-t-il développé, aux thèmes liés à la protection de la vie humaine, questions délicates qui ont besoin d’être soumises à un examen attentif, qui tienne compte de la vérité de tout l’être humain, sans se limiter à des domaines spécifiques médicaux, scientifiques ou juridiques ». Le Pape a également fait allusion à l’accueil du migrant et au « grave problème du travail », ainsi qu’à la protection de l’environnement.

Les pauvres ne demandent pas seulement du pain
Le Pasteur de l’Eglise universelle a conclu ce long discours par une exhortation à la collaboration et la solidarité et un hommage aux hommes et aux femmes du passé : « Je souhaite vivement que s’instaure une nouvelle collaboration sociale et économique, affranchie de conditionnements idéologiques, qui sache faire face au monde globalisé, en maintenant vivant ce sens de solidarité et de charité réciproques qui a tant caractérisé le visage de l’Europe grâce à l’action généreuse de centaines d’hommes et de femmes – dont certains sont considérés saints par l’Église catholique – qui, au cours des siècles, se sont dépensés pour développer le continent, tant à travers l’activité d’entreprise qu’à travers des œuvres éducatives, d’assistance et de promotion humaine. Surtout ces dernières représentent un point de référence important pour les nombreux pauvres qui vivent en Europe. Combien il y en a dans nos rues ! Ils demandent non seulement le pain pour survivre, ce qui est le plus élémentaire des droits, mais ils demandent aussi à redécouvrir la valeur de leur propre vie, que la pauvreté tend à faire oublier, et à retrouver la dignité conférée par le travail ».

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