Chardonne encore : attachement et détachement

Par Francis Bergeron

 

Qu’est-ce qu’une biographie réussie ? C’est celle qui donne envie d’aller plus loin avec celui dont on vient de lire la vie, qui donne envie d’en savoir plus sur lui, et sur son œuvre, s’il s’agit d’un artiste.

Il y a quelques semaines, Présent a dit tout le bien qu’il fallait penser de la courte mais efficace biographie de Jacques Chardonne, due à la plume d’un jeune universitaire, Alexandre Le Dinh (1). Dans la foulée d’une telle lecture, tout homme bien né se dirige ensuite vers sa bibliothèque, rayon littérature, lettre C. Et, par les hasards de l’ordre alphabétique, entre Céline et Cioran, il va soupeser ses Chardonne, chercher les titres conseillés par le biographe, lire quelques lignes par-ci, quelques lignes par-là, histoire de se faire une religion, et en final sélectionner deux livres, qu’il rapportera, pour lire au cours de sa semaine parisienne (car bien entendu sa bibliothèque se trouve dans une gentilhommière du Bas-Berry, mais il travaille à Paris).

Le premier de ces livres s’appelle Vivre à Madère. Alexandre Le Dinh indique, dans une interview publiée par la revue Livr’Arbitres de cet automne (2), que « Vivre à Madère (1953) est à la fois le premier livre que j’ai lu de Chardonne et mon préféré. Il condense assez bien, il me semble, toute l’esthétique chardonnienne : le poids du temps, la quête du bonheur, les femmes, les fleurs, l’amour. »

Et c’est bien ce que l’on trouve, dans Vivre à Madère. Les femmes et les fleurs, surtout. Mais c’est aussi dans ce livre qu’on peut y lire cette formule toute chardonnienne : « Je crois qu’il faut poser le pied assez légèrement sur terre. » Une formule qui résume la touche particulière de cet auteur, discrétion et ironie, enracinement et détachement.

— Et le second livre ?

— Le Bonheur de Barbezieux, par exemple. Une chronique attachante, mais détachée, aussi, de cette vie heureuse d’avant la guerre (de 14) dans une petite ville de Charente. Cognac et littérature, en somme…

Comme un bonheur n’arrive jamais seul (et pas seulement à Barbezieux), voici donc que Livr’Arbitres consacre le dossier principal de son numéro de l’automne à Chardonne. Avec d’excellents textes, très diversifiés : le subtil Jean-Paul Caracalla, l’érudit Bertrand Galimard Flavigny, dont les chroniques de la Gazette de l’Hôtel Drouot ont assis la réputation d’expert en bibliophilie ; ou encore Philippe Barthelet (tout le monde raffole par ailleurs de ses chroniques de grammaire de Valeurs actuelles), qui égratigne au passage notre écrivain sur le thème « du bon usage de l’Allemagne ». Allusion à ses deux voyages de la période d’Occupation, et à quelques écrits « imprudents » des mêmes années. Pour critique qu’il soit, l’article de Philippe Barthelet n’est pas le moins intéressant.

Ce numéro de Livr’Arbitres trouvera donc sa juste place au rayon Chardonne de la bibliothèque. Et saluons une fois encore la qualité et le grand intérêt de cette revue, créée et animée par des amoureux de littérature, tous plus ou moins issus de l’Est de la France et « montés à Paris » il y a un certain nombre d’années, tels de modernes Rastignac. Saluons leur bon goût littéraire, qui les fait nous raconter toujours Chardonne et Sentein, Millet et Raspail, Béraud et les hussards… tout ce qu’on aime, en somme !

(1) Chardonne, par Alexandre Le Dinh, Pardès, collection « Qui suis-je ? », 2013.

(2) Livr’Arbitre, 36 rue Balard 75015 Paris et [email protected]

 

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