Peindre l’impossible

Un Français, un Suisse, un Norvégien, dont le premier naît en 1840 et le dernier meurt en 1944, qui appartiennent à trois courants différents – voilà a priori autant de raisons de ne pas les rapprocher dans une même exposition. Mais Claude Monet, Ferdinand Hodler et Edvard Munch furent trois grands paysagistes obsédés par les « choses impossibles » (l’eau, la neige, la nuit ou le soleil…) et cela justifie une confrontation des trois œuvres.



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Claude Monet, Paysage de Norvège. Les maisons bleues, 1895. Huile sur toile, 61 x 84 cm. Paris, Musée Marmottan Monet.
Huile sur toile, 61 x 84 cm. Paris, Musée Marmottan Monet. © The Bridgeman Art Library.

Est-il besoin de présenter Monet ? Ses toiles y suffisent : Impression, soleil levant, Coucher de Soleil à Etretat sont des joyaux, mais aussi Effet de neige, soleil couchant que possède le musée Marmottan-Monet et dont on ne se lasse pas. Ce tableau est encore très « écrit », presque annonciateur du pinceau de Van Gogh, contrairement aux tableaux ultérieurs : en 1895 Monet voyage dans une Norvège enneigée où le paysage se dissout dans la lumière qui grignote des maisons rouges, des maisons bleues. Cette manière est moins probante, le talent de Monet finira par s’y dissoudre aussi. Le peintre oublia que l’art a ses moyens propres et que le meilleur moyen de rendre picturalement l’impalbable n’était pas de tout fondre avec le blaireau.

L’expressioniste Munch commence en région parisienne comme un impressionniste marqué par le symbolisme mais trouve sa voie propre quasi simultanément. En 1890 il peint La Seine à Saint-Cloud de jour, toile impressionniste ; et La Seine à Saint-Cloud de nuit, toile déjà expressionniste, de très large facture. Les deux tableaux nocturne de Van Gogh datent de 1888-1889, l’hommage de Munch – la reconnaissance d’une parenté sinon d’une filiation – éclatera dans un autre nocturne : Nuit étoilée, peint dans les années 1920. Munch est un peintre étonnant, dont en France on n’a qu’une connaissance imparfaite. Il tire des paysages, qu’ils soient enneigés ou automnaux, des tableaux forts qui disent quelque chose de plus que le simple sujet : Neige fraîche sur l’avenue, La pluie… Il est sans cesse en quête d’une beauté exprimée passionnément et, si certains tableaux expérimentaux laissent froid (Le soleil, 1912, d’après une pochade), la majeure partie de ses œuvres captivent.

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Edvard Munch, Nuit étoilée, 1922-1924. Huile sur toile, 140 x 119 cm. Oslo, Munchmuseet. Photo © Munch Museum

Hodler est classé dans le post-impressionnisme, étiquette des plus vagues. Sa grande source d’inspiration sont les lacs et les montagnes de son pays natal, vues paisibles et dégagées, proches parfois de tableaux d’Albert Marquet. Ce qu’il aime, c’est retracer les lignes brisées des sommets et des arêtes, donner l’impression paradoxale d’extrême légèreté que peut donner la lumière à une masse rocheuse, qu’elle soit enneigée ou non : Le Mönch dans les nuages (1911), Le lac de Thoune et le Stockhorn enneigé (1913), Le lac Léman et le Mont Blanc l’après-midi (1918).

Correspondances
Hodler lui-même n’est pas étranger à l’influence de Van Gogh, présent nulle part dans l’exposition si ce n’est implicitement : son Paysage près de Néris (1915), où pour une fois Hodler oublie les montagnes et peint un coin de ruisseau et un conifère, doit quelque chose au maître d’Arles. D’autres rapprochements sont possibles entre les trois peintres retenus ; ainsi lorsque Monet peint le Mont Kolsaas (1895), il annonce les recherches de Hodler. C’est lui qui parlait, pour un certain nombre de sujets, de « choses impossibles à faire » : « J’ai repris des choses impossibles à faire : de l’eau avec de l’herbe qui ondule dans le fond… c’est admirable à voir, mais c’est à rendre fou de vouloir faire ça ». Ce défi qu’il se lançait, Munch et Hodler, avec des tempéraments différents, l’ont relevé de leur côté.

Hodler, Monet, Munch, peindre l’impossible. Jusqu’au 22 janvier 2017, musée Marmottan-Monet.

Visuel de Une: Claude Monet, Paysage de Norvège. Les maisons bleues, 1895. Huile sur toile, 61 x 84 cm. Paris, Musée Marmottan Monet © The Bridgeman Art Library

Samuel Martin – Présent

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