L’ombre de Taubira planait sur le tribunal en ce mercredi 24 septembre, puisque ce jour devaient être jugés durant cinq heures et demi Anne-Sophie Leclère, le journal Minute et David Miège, dessinateur pour le même journal.
En raison des complications générées par les problèmes logistiques dus au renvoi de l’affaire Leclère sur Cayenne, cette affaire a finalement été mise en délibération et reportée à plus tard.
Maître Triomphe, l’avocat de Mme Leclère et de David Miège, a évoqué un acharnement judiciaire, un jugement politique, ajoutant qu’une requête auprès de la Cour Européenne des Droits de l’Homme était en cours afin de demander un sursis. Une plainte a en outre été déposée contre Séverine Lebrun, journaliste sur France 2, pour avoir d’une part abusivement utilisé des propos d’Anne-Sophie Leclère prononcés alors que cette journaliste lui avait dit que son micro était coupé, et d’autre part pour avoir montré à la télévision Mme Leclère assumant un montage que Mme Lebrun lui désignait hors caméra alors que celle-ci aurait fait croire aux téléspectateurs qu’il s’agissait d’un autre montage. Me Triomphe a évoqué l’escroquerie du procédé.
Après une première suspension d’audience, Minute faisait office de plat de résistance de ce procès. Y étaient désignés à la vindicte la Une montrant une Christiane Taubira qualifiée de « maligne comme un singe » et qui « retrouve la banane ».
A la suite de la parution du numéro, des poursuites avaient été engagées sur dénonciation de Jean-Marc Ayrault, alors premier ministre, qui l’avait jugée « susceptible » de constituer un délit « d’injures publiques à caractère racial ». Durant les trois jours qui ont suivi cette sortie Christiane Taubira s’est accaparé le crachoir en même temps que les caméras, diligentant aussitôt une enquête.
Il avait été décidé de faire de ces trois affaires une seule et même affaire, les deux avocats respectifs du directeur de Minute, Jean-Marie Molitor, et de David Miège ont plaidé collégialement et avec un brio remarquable, au point qu’une fois dehors devant les grilles du Palais de Justice, deux journalistes d’une chaîne de télévision d’Outremer sont venus les féliciter et leur dire qu’ils les avaient convaincus de l’inanité du procès.
Me Triomphe a axé sa plaidoirie sur le mélange des genres préjudiciable à l’impartialité de ce procès. Rappelant que les décisions devaient être rendues dans l’intérêt du peuple français, il a déploré la lourdeur de la peine d’Anne-Sophie Leclère qu’il a qualifiée de « jugement scandaleux », et le sentiment de partialité très préjudiciable qui, forcément, risquait d’en découler puisque Mme Taubira dans cette affaire est à la fois juge et partie. Bien que la ministre ait, comme tout un chacun le droit d’être défendue, l’avocat de la défense a démontré que la confusion des qualités ne saurait être propice à une justice sereine et a donc demandé à ce que l’affaire ne soit jugée qu’après que Mme Taubira ait cédé son poste.
Les différents avocats des parties adverses se sont succédés, répétant plus ou moins les mêmes choses. Celui du MRAP a parlé d’enfumage, « d’arguties politico-économico… » se reprenant aussitôt « euh non, pas économico ! », en concluant sur le fait qu’il fallait lutter contre le racisme. L’avocate de la Ligue Citoyenne a pris péniblement la suite après s’être shootée au spray buccal pour éclaircir sa voix, suivie ensuite par ses collègues.
Après une seconde interruption c’était au tour de David Miège de passer sur le grill. Il s’est défendu de tout racisme, précisant que personne ne l’avait jamais accusé pour cela et qu’il se fichait pas mal que la ministre soit noire, bleue ou verte, et qu’il aurait aussi bien pu dessiner un chat ou un chien en lieu et place du singe puisqu’il a l’habitude d’avoir un bestiaire dans ses publications, et que par ailleurs nous descendons tous du singe, animal tout aussi respectable qu’un autre somme toute.
Puis la présidente a interrompu un instant l’interrogatoire du dessinateur pour informer la salle qu’un fax de Mme Taubira venait d’arriver, suscitant quelques sourires narquois dans la salle ainsi qu’un commentaire de Me Triomphe « ça confirme ce que je disais » sur le sentiment de partialité de ce procès par le peuple.
De nouveau les avocats se sont succédés pour évoquer cette fois la couverture de Minute, au travers de laquelle, pour le MRAP c’est toutes les personnes noires qui étaient visées et même l’humanité toute entière, que la liberté d’expression avait ses limites, qu’on avait bien vu Le Pen et Sarkozy grimés en singe mais que ce n’était pas pareil parce que c’était dans un contexte précis. Comprenez, eux étaient blancs donc il ne pouvait y avoir confusion.
L’avocat de la LDH a déclaré que nul ne pouvait ignorer le lien fait entre singes, noirs, esclavage, racisme et bananes. Des propos qui, en l’occurrence n’engageaient que lui, tandis qu’à ce moment précis des bruits de tam-tam provenant peut-être d’un car de tourisme à l’extérieur se faisaient entendre. Quand la provocation s’en mêle…
Relatant des faits similaires touchant Najat Vallaud-Belkacem, il a déploré que les gens soient vus d’abord au travers du prisme de leurs origines, alors que dès leur nomination c’est précisément leurs origines qui avaient été mises en avant, tant par les politiques que par les médias hypocrites. Il a conclu en réclamant 13 000 euros d’amende en tout.
Même topo pour l’avocate de la Ligue Citoyenne qui à un moment donné a rappelé que les valeurs de la République étaient l’égalité et la fraternité. Pour la liberté vous irez donc vous brosser !
Elle a brandi une Une de Minute montrant à la fois Taubira et Vallaud-Belkacem, fustigeant le fait d’entrer dans la « sphère privée » de quelqu’un désignée comme musulmane alors que Mme Vallaud-Belkacem travaille pour le roi du Maroc, lequel applique la loi de la charia, y compris donc pour notre ministre de l’Education Nationale. La sphère privée, chez elle, a quelque peu débordé sur ses attributions ministérielles.
Elle a réclamé 9 000 euros de dommages et intérêts et de frais de procédure pénale.
L’avocat de la Maison des Potes, avant sa plaidoirie, a cru bon de demander à Maître Triomphe de ravaler sa morgue, celui-ci étant un peu trop souriant et décontracté à son goût. Il a aussitôt enquillé sur le fait que caricaturer c’était mal et même que si on n’avait pas caricaturé des juifs avant la guerre il n’y aurait jamais eu de génocide, ajoutant qu’aujourd’hui les rejetés de la société étaient les Roms et les musulmans. La salle a esquissé quelques sourires quand il a déclaré que Minute était un organe du Front National alors que Marine Le Pen n’a de cesse d’en parler comme d’une presse de « caniveau » ! Il a, avec un certain mépris, évoqué les manifestants de la MPT qui « sont descendus dans la rue se salir sur les trottoirs parisiens » avant de rappeler lui aussi les valeurs républicaines d’égalité et de fraternité (mais toujours pas de liberté ?!) et de réclamer 12 000 euros.
Puis la star de la 17e, la procureure Aurore Chauvelot, a pris la parole, évoquant tour à tour Minute, Anne-Sophie Leclère puis la petite fille avec sa banane. Concernant le dessin de Miège, elle a considéré que le singe représenté était une caricature de Mme Taubira, tandis que Me Triomphe et Miège lui-même faisaient non de la tête.
Quand Jean-Marie Le Pen a été représenté en singe, personne n’a rien dit parce qu’il n’est pas noir, a t-elle ajouté. Précisément. S’il y avait procès aujourd’hui c’est bien parce que des associations dites antiracistes ont fait une fixation sur la couleur de peau de la ministre alors que des dessinateurs griment indifféremment en singe des blancs et des noirs. Pour ces gens, une caricature de singe serait plus insultante pour un noir que pour un blanc. Est-ce à dire que ces associations voient dans la caricature d’une personne noire de quoi justifier une corrélation que n’aurait pas une caricature sur un blanc ? Mais qui sont les véritables racistes dans cette histoire ? Qui est obsédé par la couleur de la peau à thème simiesque égal ?
La procureure a réclamé 2 000 euros à l’encontre de David Miège pour complicité de l’injure dont 1 000 euros avec sursis.
Maître Triomphe s’est levé et s’est écrié « la République est en danger ! J’ai entendu parler des heures les plus sombres de notre histoire, de génocide, restons sérieux ! », parlant de « poursuites grotesques et ubuesques ». Quand il a vu ce dessin de Miège, il a ri spontanément, questionnant « suis-je raciste ? ». « Je l’ai trouvé décalé et dédramatisant », a t-il ajouté, précisant que ce dessin était destiné à désamorcer la tension et que par ailleurs il serait passé totalement inaperçu si les « antiracistes » n’en avait pas fait autant de publicité. Mme Taubira n’a pas été comparée à un singe dans ce dessin, ajoutant que la ministre avait mille autres raisons d’être détestée en raison de son caractère, de son autorité méprisante, de sa loi qu’elle a fait passer en niant les millions de citoyens descendus dans la rue, de sa vulgarité encore. Mais que nulle part dans ce dessin y était mentionné d’une quelconque façon que Mme Taubira était noire. Il a ensuite brandi quelques dessins dont celui de Daumier paru dans cet article.
Il a demandé la relaxe pour son client, justifiant que M. Miège n’est poursuivi que parce qu’il a le mauvais goût d’être de droite et que d’autres dessinateurs ne le sont pas parce que eux ont le bon goût d’être de gauche. Il a décrit le dessinateur comme un humaniste, un dandy, « le Dick Rivers du dessin de presse », provoquant quelques rires étouffés dans l’assistance. « Vous le relaxerez », a t-il prophétisé, ajoutant que l’Etat en serait quitte pour le dédommager de la somme légale prévue à cet effet : 189,92 euros.
Il a conclu en apothéose en déclarant que l’une des parties civiles, la Ligue Citoyenne, était un nid « d’escrocs notoires » et de « militants néo-nazis » n’ayant d’autres visées que de gagner de l’argent, au grand dam de leur avocate qui, pour le coup a dû en avaler son spray !