« Cador », « agitateur », « exécrable » : la charge des policiers contre Benalla au Sénat
Auditionnés par la commission des Lois du Sénat, les syndicats de police ont fait état de plusieurs remontées de terrain mettant en cause le comportement d’Alexandre Benalla avec les agents ou la hiérarchie de la police.
Par Guillaume Jacquot @Algdelest
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Ce sont des représentants de la police passablement en colère, et un brin ébahis par une semaine de révélations, qui se sont exprimés face à la commission sénatoriale des Lois ce mardi après-midi.
Pour leur première audition dans le cadre de l’affaire Benalla, les sénateurs dotés des pouvoirs d’une commission d’enquête, ont entendu les témoignages de quatre organisations syndicales des forces de police. Après avoir prêté serment, les représentants syndicaux ont attesté de mauvaises relations entre les forces de l’ordre et le conseiller de l’Élysée Alexandre Benalla, mis en cause pour des faits de violence le 1er mai à Paris, avec du matériel de police.
Pour Fabien Vanhelmeryck, secrétaire général d’Alliance, le syndicat majoritaire dans la police nationale, les évènements du 1er mai sont inédits, vu de sa propre expérience. « C’est la première fois que ça arrive, l’observateur qui se prend pour un interpellateur ». Denis Jacob, secrétaire général d’Alternative Police-CFDT, « l’image de la police a été salie » par cette affaire.
« Intimidation constante et récurrente »
Yves Lefebvre, secrétaire général Unité SGP-police Force ouvrière indique, sur la base de témoignages, qu’Alexandre Benalla allait « jusqu’à l’insulte à l’encontre des gradés et des gardiens de la paix du Groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR) ». Il évoque « une intimidation constante et récurrente ».
« D’ailleurs M. Benalla, sans tomber dans la caricature, pour reprendre les termes de mes collègues (de la CGE), était exécrable. Il montrait vraiment ses fonctions et son identité. Il avait du mal à comprendre que parfois il fallait attendre pour pouvoir passer ou attendre pour pouvoir se garer », évoque quant à lui Fabien Vanhelmeryck (Alliance). « Avec les collègues de la CGE (Compagnie de Garde de l’Élysée NDLR) sachez que les relations étaient très très mauvaises »
Pour les policiers de l’Elysée, Alexandre Benalla était « exécrable »
« Il se comportait comme un cador »
Jean-Marc Bailleul, secrétaire général du SCSI-CFDT, n’a jamais eu la chance d’assister à une réunion de débriefing à la Préfecture de police, contrairement à Alexandre Benalla. « Des collègues nous ont dit qu’il se comportait un peu comme un cador. Tout devait lui être ouvert, il reprenait les gens et intervenait sur les dispositifs », relate-t-il aux sénateurs (vidéo de tête).
Pour cette figure du syndicat majoritaire chez les officiers, les « remontées » sur le comportement « indigne » d’Alexandre Benalla ne sont pas seulement le fait d’agents de police. « Il semblerait que M. Benalla interférait y compris quand il y avait des hauts responsables de la police nationale », explique-t-il.
« À 26 ans, on est expert de quoi ? »
La liste des avantages accordés à celui qui s’est présenté comme « chef de cabinet adjoint » à la présidence de la République, est aussi durement énoncée. Jean-Marc Bailleul fait le parallèle entre la voiture neuve d’Alexandre Benalla et celles de certains agents affichant 200.000 kilomètres au compteur. Puis, brandissant des galons devant les sénateurs, le secrétaire général du SCSI-CFDT évoque la promotion éclair au sein de la gendarmerie réserviste : « Comment a-t-on pu nommer ce monsieur au garde de lieutenant-colonel ? » Et d’ajouter sur son statut de « spécialiste expert » : « À 26 ans, on est expert de quoi ? »
Le conseiller élyséen a été « très souvent » aperçu à la Préfecture de police, c’est ce que confirme David Le Bars, secrétaire général du syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN-Unsa). Il raconte : « Les cadres de la Préfecture de la police ne pouvaient pas, pour la plupart avec qui j’ai discuté, ne pas connaître M. Benalla parce qu’il était présent dans le paysage policier de la Préfecture de police de manière récurrente. »
« M. Benalla était présent dans le paysage policier de la Préfecture de police de manière récurrente » (David Le Bars)
Un « agitateur »
« Les collègues CRS n’ont jamais été débordés à ce moment précis de la manifestation », raconte Philippe Capon, secrétaire général de l’Unsa-Police, au sujet des événements de la place de la Contrescarpe le 1er mai. Toujours selon des sources recueillies sur le terrain, il précise que « M. Benalla a davantage été perçu comme un agitateur que comme un observateur, courant partout, avec un comportement qui aurait pu encore davantage faire dégénérer une situation déjà bien tendue. »
« C’est peut-être la goutte d’eau qui a fait déborder le vase », poursuit David Le Bars (SCPN-Unsa) en évoquant l’incident à l’aéroport de Roissy, au moment du retour des Bleus. S’appuyant, sur des déclarations de gendarmes et de la police aux frontières, le responsable syndical déclare qu’Alexandre Benalla s’est « immiscé de façon autoritaire et déplacé ».
L’épisode de Roissy et des Bleus, « la goutte d’eau qui a fait déborder le vase », pour David Le Bars (SCPN-Unsa)
Des « barbouzes » au sein du Groupe de sécurité de la police de la République
Plusieurs des représentants syndicaux présents se sont demandé pourquoi une personne telle qu’Alexandre Benalla assurait la sécurité d’un président de la République, alors qu’un service comme le GSPR est fonctionnel. « Est-ce qu’on a un problème de confiance vis-à-vis d’eux ? Pourquoi aller chercher des agents de sécurité privés pour intégrer la sécurité du président de la République ? », s’est interrogé Jean-Marc Bailleul, secrétaire général du SCSI-CFDT.
Alors que le terme de « police parallèle » est placé dès le début de l’audition, Yves Lefebvre (Unité SGP-police FO) parle au pluriel. C’est le point d’orgue de l’audition. Selon lui, au sein du Groupe de sécurité de la police de la République, chargé d’assurer la protection du Président, il existe un « groupe de personnels » comportant des privés. Citant des sources sûres en sa possession, le syndicale va jusqu’à employer le terme de « barbouzes » (à 1h50)
Selon les éléments en ma possession, il semblerait manifestement qu’au sein du groupe de sécurité de la police de la République (GSPR), nous avions un groupe de personnels hors police et hors gendarmerie, (…) qui étaient des civils, des privés » informe Yves Lefebvre, secrétaire général de la FSMI-FO, avant de préciser :
« C’est pourquoi j’emploie le terme de barbouzes, parce que ces gens-là n’ont aucune habilitation, ce ne sont ni plus ni moins que des vigiles qui étaient employés manifestement par Monsieur Benalla, dans le cadre de la protection de la présidence de la République ».
D’après le syndicaliste, les informations proviennent de sources sûres, du réseau de délégués au sein du service de protection des hautes personnalités (SPHP). « Les éléments que j’ai eus m’ont été rapportés par mes représentants locaux, qui m’ont dit effectivement qu’il y avait des groupes privés qui travaillaient avec Monsieur Benalla et qui provoquaient des tensions avérées entre les fonctionnaires de police, et Monsieur Benalla et ses comparses » indique-t-il.