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On s’en doutait bien un peu : le projet de loi sur la moralisation de la vie politique, rebaptisé fumeusement « projet de loi sur la confiance dans l’action publique », est justement un écran de fumée dont on se serait bien passé en ce bel été. Et les débats qui se déroulent actuellement à l’Assemblée nationale nous donnent confirmation de cette intuition.
Ainsi, nous avons eu droit, mardi soir, à un discours enflammé – et un peu fumeux, il faut bien le dire – de Mme Aurore Bergé, député La République en marche des Yvelines, pour défendre ce qui sera l’alpha et l’oméga de la nouvelle ère ouverte par l’élection d’Emmanuel Macron.
Rappelons tout de même rapidement le chemin de conviction de Mme Bergé. Elle soutint tour à tour Nicolas Sarkozy puis François Fillon en 2014 pour l’élection à la présidence de l’UMP, Nathalie Kosciusko-Morizet puis Alain Juppé en 2016 à la primaire de la droite et du centre, pour enfin rallier Emmanuel Macron en 2017 à l’élection présidentielle. En quelque sorte, la version moderne, féminisée, en mode accéléré, pour tout dire dans l’air du temps, du fameux « Royauté, République, Empire » incarné dans notre Histoire par Talleyrand.
Or, donc, pour défendre du haut de la tribune le projet de loi, Mme Bergé n’y est pas allée avec le dos de sa petite cuillère en vermeil. « La nuit du 4 août 1789 vit l’abolition des privilèges féodaux. » Waouh ! Le décor est planté. D’emblée. C’est là, au passage, qu’on voit que les assistants parlementaires servent à quelque chose et que Wikipédia n’est pas fait pour les chiens. Et de citer le duc d’Aiguillon, en haussant le ton sur ses talons et se tournant ostensiblement vers les bancs de la droite : « Le premier et le plus sacré des devoirs de l’Assemblée nationale est de faire céder les intérêts particuliers et personnels à l’intérêt général. » Pas moins. La suppression de la réserve parlementaire, l’obligation de présenter une note de frais après un gueuleton au resto, l’interdiction d’employer sa parentèle pour un député, tout cela est en quelque sorte ennobli par comparaison aux droits de porter couronne sur son carrosse, de rendre basse, moyenne ou haute justice, ou encore d’être propriétaire d’un pigeonnier ! Décidément, la Ve République commença à la Boisserie et finira à la Thénardière…
La fin de son discours fut tout simplement grandiose. Un grand moment de République, si vous voulez. Et pourtant, on n’a pas vu les bras de chemise des Insoumis venir étreindre les poitrines des Républicains sous le regard mouillé des grenouilles du marécage. Encore moins les descendants des Montagnards embrasser le Front, tout là-haut perché à l’extrême droite. Dommage.
Grandiose, disais-je, que cette fin de discours, lorsque Mme Bergé cita Mirabeau, carrément. « Livrons-nous donc, sans crainte, à l’impulsion de l’opinion publique. Loin de redouter, invoquons sans cesse le contrôle universel. C’est la sentinelle incorruptible de la patrie. C’est le garant sacré de la paix sociale avec laquelle nul individu, nul intérêt et nulle considération ne peuvent entrer en balance. » Se livrer à l’impulsion de l’opinion publique ! Tout est dit là. Après « l’affaire Fillon », livrons quelques miettes à l’opinion publique en pâture, de quoi la rassasier…
Grandiose, mais aussi un peu grotesque quand on se rappelle qui était vraiment Mirabeau – ce qu’ignore sans doute notre Mirabelle des Yvelines. Car, on le sait, Mirabeau était loin d’être un parangon de vertu publique. Le parlementaire de la IIIeRépublique Louis Barthou, dans une somme plutôt hagiographique, publiée en 1913, écrivait que le projet de Mirabeau consistait à « avilir l’Assemblée », à « la pousser au mal », à « lui tendre des pièges »… Un projet qui « répugne comme une mauvaise action », ajoutait-il. Il évoquait, d’ailleurs, les mots mêmes de Mirabeau pour qualifier son action politique : « intrigue obscure… artificieuse dissimulation ». En somme, tout ce qui concourt à restaurer la confiance dans l’action publique.
Georges Michel- Boulevard Voltaire