Tous les éléments étaient réunis pour que Les Républicains puissent créer la surprise aux élections européennes. Et pourtant…
Une occasion manquée dans les grandes largeurs
Pour un parti d’opposition, tous les éléments étaient réunis pour créer la surprise aux élections européennes : un président de la République essoufflé et discrédité par une impopularité croissante ou par des scandales (Benalla) ; une usure de la majorité bien plus grande qu’en 2009 ou en 2014, lorsque Sarkozy et Hollande franchirent le cap des deux ans à l’Élysée ; des élus LREM néophytes, maladroits ou encore peu enracinés ; une droite majoritaire au Sénat et représentant le premier groupe d’opposition à l’Assemblée nationale (plus de 100 députés). Sans parler de militants peu nombreux mais gonflés à bloc. Et une base nombreuse de sympathisants, qui s’était déjà déplacée aux primaires en 2016 ou au premier tour de la présidentielle de 2017. Bref, un « reliquat » capable d’être utilisé contre Macron. Quant à la tête de liste, François-Xavier Bellamy, elle pouvait parler à cette droite conservatrice grâce des discours prononcés sans aucune fiche, réussissant à éviter des éléments de langage sirupeux. Tout l’inverse de la liste LREM qui cumulait divers problèmes. À commencer par le caractère peu charismatique de Nathalie Loiseau et des mois chaotiques de campagne. Le plus curieux est que LREM, qui partait avec de sérieux handicaps, aura transformé sa défaite prévisible en situation de quasi ex-aequo avec le RN.
L’art des Républicains aura été de transformer les rares pépites qui leur restaient en plomb. Et surtout d’avoir réussi à organiser un grand remplacement électoral : le départ des électeurs pour Jordan Bardella ou Nathalie Loiseau, la faute mortelle en politique. Un parti sans électeurs s’assèche et disparaît du champ social et politique. Ce qui explique les comportements d’un grands nombre d’élus LR prêts à se satelliser auprès d’En Marche…
Deux ans après le premier « hold-up » macroniste de 2017, LR réussit à faire fuir des électeurs pour En Marche, comme on l’a vu dans l’ouest parisien et dans des départements réputés de droite.
Les 7 erreurs des Républicains
On retracera le jeu de ces erreurs qui ont marqué la catastrophe du 26 mai 2019 : elles sont lourdes de conséquences pour l’avenir des Républicains, condamnés à sa macroniser en multipliant les signes d’allégeance… Avec Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon, Laurent Wauquiez fait partie de ces responsables politiques qui ont réussi à diviser par trois des résultats du premier tour de la présidentielle.
Raisonner comme un parti de gouvernement. 7 ans après la défaite aux présidentielles de 2012, LR raisonne toujours comme s’il était un grand parti de droite et du centre, s’obligeant à parler à des électeurs ne votant pour lui et continuant à croire aux gains d’une alliance avec le centre. Outre l’infidélité chronique des élus et des électeurs centristes, le macronisme existe déjà comme bloc central capable de séduire ces derniers. À tel point que draguer des électeurs qui ont déjà trouvé chaussure à leur pied devient une gageure. Le hic aussi, c’est que les nouvelles franges – la Manif pour tous de 2013, voire ces français râlant depuis 2018 contre Macron – n’ont guère été agrégées, alors qu’elles pouvaient être de nouveaux espaces. Ce que Fillon avait compris en 2016 avec les mobilisations contre le mariage pour tous et l’expérience – si contestable soit-elle – de Sens commun. LR semble avoir raisonné comme si on était encore en 2010, en 2012 ou en 2016, au pouvoir ou – du moins – proche de lui. Se prétendre un « grand parti » quand on se satellise a quelque chose de comique…
La tête de liste : l’arbre qui cache la forêt des discordes et des ambitions. L’autre drame est celui d’une tête de liste desservie par des sortants en fin de parcours ou totalement aux antipodes de François-Xavier Bellamy. Des boulets qui ont tiré la liste par le bas… Geoffroy Didier, directeur de campagne de Bellamy, s’est autorisé à cracher sur sa tête de liste après la défaite. Comment ne pas voir le règne de l’insincérité totale et de l’opportunisme ? Si vraiment Bellamy posait des problèmes, pourquoi ne pas avoir soulevé de visu les problèmes en pleine campagne avec l’intéressé ? Dire que Bellamy a plombé la liste est un mensonge : il a plutôt été fragilisé par un parti instable et sans ossature intellectuelle. La tête de liste a été desservie par un parti offrant peu de têtes nouvelles, incapables de faire l’unité entre elles.
LR : un parti sans message identifiable. Un aspect aurait pu être davantage souligné par les commentateurs : les trois listes arrivées en têtes le 26 mai dernier avaient un message clair et identifiable auprès des électeurs, peu importe le degré de sincérité des candidats. Si le RN a incarné le refus de l’immigration et la défense de l’identité (lato sensu), LREM a représenté le soutien à la doxa po-UE et au bloc « central », tandis qu’EELV a porté la peur des catastrophes écologiques et climatiques. L’électeur n’a pas eu de difficultés à voir ce que ces formations défendaient. Il a eu en revanche beaucoup de mal à saisir le message de la liste LR dans laquelle tel colistier se croit intelligent de contrebalancer les propos « transgressifs » de Bellamy. Qui sur l’avortement, qui sur l’euthanasie…. Résultat : une cacophonie où LR n’a même pas été en mesure d’incarner ce libéral-conservatisme qui avait plu aux électeurs de Fillon en avril 2017. En politique, il y a bien pire qu’une mauvaise image : c’est de ne pas avoir d’image du tout.
Un parti désorganisé. Sur ce point, la responsabilité a surtout été du côté de Laurent Wauquiez qui a gaspillé un précieux temps logistique. Après 17 mois de présidence, le parti n’a pas été géré comme un « poste opérationnel » permettant au chef de répondre aux demandes et d’entretenir le réseau d’élus. Entre des sénateurs snobés et des militants laissés dans la nature, Laurent Wauquiez a transformé l’héritière des machines RPR, puis UMP en parti de logo tournant autour de son seul chef. Même Bernard Accoyer, qui avait exercé provisoirement la présidence du parti de 2016 à 2017, avait réussi à le faire tourner. Par une gestion trop brouillonne, Wauquiez a métamorphosé son parti en coquille vide, persuadé que le logo, accompagné de quelques phrases tonitruantes du chef, est une assurance.
L’omniprésence gênante du chef. Laurent Wauquiez a choisi Bellamy. Mais à peine quelques sondages prometteurs et la croyance en une remontada, Laurent Wauquiez s’est autorisé à intervenir en campagne, apparaissant dans les tracts ou les meetings… Par peur d’être éclipsé par un concurrent ou par volonté de ne pas disparaître du jeu, Laurent Wauquiez s’est permis d’intervenir de façon désastreuse. Au point de voir les électeurs se plaindre de la photo de Laurent Wauquiez dans les tracts… Macron est certes intervenu dans la campagne, mais les personnalités ne sont pas les mêmes. Si doué soit-il, Laurent Wauquiez n’a pas l’équation personnelle d’un Nicolas Sarkozy. D’où ce débat insolite où il s’est fait royalement renvoyer dans les cordes par Marine Le Pen. On sait que la dernière semaine de campagne aura été décisive dans la cristallisation des choix électoraux…
Des attitudes et discours inopportuns. La crise des Gilets jaunes a aussi des effets sur les européennes. Donnant paradoxalement à LREM les contours d’un parti de l’ordre. Les manifestations des Gilets jaunes ont effrayé bien des électeurs bourgeois, voire « sécuritaires », en les jetant dans les bras du macronisme ; ce qui pourrait expliquer les résultats à Paris, où LREM « cartonne » dans les arrondissements de droite. LR, en tapant sur l’incapacité de Macron à assurer l’ordre dans la rue, a d’une certaine manière incité les électeurs de droite à voter « utile ». Une sorte d’appel subliminal. Comment faire davantage basculer sur le centre-droit un parti né de trahisons d’apparatchiks du PS… Alors que LR croyait récupérer les déçus de Macron, il a réussi à décevoir encore plus ses électeurs. La grosse erreur de LR est d’avoir cru que Macron ne pouvait plus séduire les électeurs de droite et qu’une affaire comme l’affaire Benalla pouvait représenter un discrédit complet. Pourtant, on aurait pu se souvenir que l’existence de barbouzeries de la part d’une équipe au pouvoir (comme sous Mitterrand avec l’affaire du Rainbow Warrior) ne suffit pas à couler un exécutif… Quant à la peur d’être diabolisé, le grief s’est révélé inopérant. Le paradoxe de cette campagne est que François-Xavier Bellamy – faiblement diabolisé – a fait peu, alors que François Fillon a engrangé 20% des suffrages exprimés dans un climat d’hostilité complète. Cela montre que la diabolisation est un faux problème. Même Macron semble avoir compris que parler du RN était contreproductif à quelques jours du scrutin.
Croire aux vertus de la presse et aux unes alléchantes. La défaite de Bellamy, c’est aussi un hiatus entre les résultats et la croyance en une remontada alimentée par des éditorialistes et des journalistes de droite, jeunes et pas toujours fiables dans leurs observations. On a vu ces couvertures du Figaro magazine, du Point ou de Valeurs actuelles donner de l’espoir. Mais être relayé par la presse – même de droite – n’est pas nécessairement la preuve de l’objectivation d’un phénomène. La « remontée » de Bellamy a surtout été nourrie par des meetings chaleureux et des tractages de militants motivés. Mais la chaleur de l’entre soi n’a pas suffi à toucher l’homme de la rue. La remontada n’a été qu’une bulle de savon entretenue par un microcosme. Sur ce point, une grande partie de la droite reste encore naïve sur le système des médias. Il y aurait tout un travail à faire sur une reconquête qui ne doit pas passer que par des chroniqueurs certes brillants, mais totalement étrangers au terrain.
Hervé Bouloire – Polémia