Un point commun entre l’histoire et le crime est que toujours quelqu’un, quelque part, creuse au nom de la vérité.
Dans la nuit du 16 au 17 juillet 1918, après trois mois de détention, la famille impériale russe est assassinée dans la maison Ipatiev. Un siècle presque jour pour jour après cette exécution qui bouleversa le cours du monde, Nicolas Ross, historien spécialiste du monde russe, publie Ils ont tué le tsar, aux Éditions des Syrtes.
Basé sur des documents inédits puisés dans les fonds d’archives russes, ce thriller d’un genre particulier nous donne à voir l’exécution bestiale des Romanov à travers les yeux des assassins eux-mêmes. Les témoignages sont ceux des tueurs interrogés par les enquêteurs blancs ou déposant ultérieurement de leur plein gré auprès des autorités soviétiques ; ils sont demeurés secrets jusqu’aux tout derniers jours de l’Union soviétique. Fanatisme désinvolte des tchékistes, proximité du front et nécessité révolutionnaire de faire du passé table rase scellent le destin des Romanov.
Les dépositions se répondent les unes aux autres, se complètent, se contredisent parfois.
Chaque témoignage s’enrichit d’une courte notice biographique du témoin/acteur du drame.
L’atmosphère poisseuse de la maison Ipatiev (rebaptisée « Maison à destination spéciale » dans le sabir bolchevique), le chaos extérieur qui dévaste le pays, l’ivrognerie, la rapacité et l’amateurisme sanguinaire des gardes sont les acteurs principaux de cet oppressant huis clos.
Il a fallu vingt minutes aux bourreaux pour tuer les Romanov et leurs serviteurs.
Aucun survivant. Le livre fait donc litière des légendes d’enfants survivants – rumeurs populaires parfois relayées par des historiens réputés (Marc Ferro, parmi d’autres).
Tout cela paraît certes inactuel.
Pourtant, l’exécution bestiale et sans jugement de la famille impériale et les ineptes tentatives de destruction et d’inhumation des dépouilles qui ont suivi portent la marque du nihilisme de notre temps. D’où l’importance quasi anthropologique des témoignages exhumés par Nicolas Ross.
L’incompétence barbare du régime qui succédera à la Russie tsariste est elle-même tout entière contenue dans les circonstances de la mort des Romanov.
À la fin de ce jeu de piste remarquablement mis en scène par Nicolas Ross, des incertitudes demeurent – le nombre exact de tireurs, l’identité du donneur d’ordre -, mais aucun lecteur ne sortira indemne de cette immersion – virtuelle mais palpable – dans le drame de la maison Ipatiev.
C’est, finalement, à vivre l’expérience intime du moment de basculement d’un Nomos de la Terre que nous invite l’ouvrage de Nicolas Ross.
Thierry Thodinor – Boulevard Voltaire