Des âmes simples

Il y a quelques mois, un petit livre bleu sombre provoquait l’enthousiasme de quelques lecteurs exigeants. Des Âmes simples, de Pierre Adrian, parvenait à mettre d’accord François Huguenin et Jérôme Garcin, nos amis de la revue Philitt et L’Obs. Cette trouée lumineuse d’un auteur commençant n’était pas sans rappeler celle de Sylvain Tesson, il y a plus de dix années. Il fallait donc attendre la venue d’un jeune écrivain d’à peine vingt-cinq ans pour que la littérature nous parle à nouveau du Ciel et de la soif qu’il fait naître dans le cœur des hommes. Mais pour bien comprendre la profondeur – que certains n’ont pas hésité à qualifier de bernanosienne – de son roman-reportage dans le monastère de Sarrance, il faut remonter le temps. Avant de ramener d’une obscure vallée des Pyrénées un livre vertigineux, Pierre Adrian avait solidement ouvert sa piste en se lançant à la poursuite de Pier Paolo Pasolini.

Sur les pas de Pasolini

Et il n’est pas anodin qu’il ait débuté cette quête en partant d’Ostie, de ces rivages sinistres où le corsaire Pasolini a trouvé la mort lors de l’une de ses virées endiablées. Car la lecture qu’Adrian fait de Pasolini n’est pas celle des pseudo-rebelles aux cheveux longs et sales. En Pasolini, il ne vient pas puiser le souffre épiçant une existence lâche mais les réponses au tragique sans cesse manifesté de la vie. C’est le mystique qui l’intéresse chez l’Enragé. Celui qui croyait de toutes ses tripes et de son âme blessée à la pureté et au péché. De profundis, clamavi, voilà résumée toute la vie de celui dont Pierre Adrian dit « avoir appris à croire aux excès ». Et pas aux faciles outrances de nos sociétés malades. Non. A la sacralité et aux sentiments. A tout ce dont la « société de consommation a privé les hommes en les transformant en automates laids et stupides, adorateurs de fétiches » comme l’écrivait « PPP » dans ses Lettres luthériennes.

Morne modernité

Pasolini, communiste hétérodoxe, a saisi la profonde tristesse de son époque comme le firent avant lui Bernanos, Bloy et son cousin en désenchantement : Drieu La Rochelle. Il a vu clair à travers les fumeux nuages de son temps. Voilà pourquoi il n’a que fort peu vieilli et nous paraît si salutaire aujourd’hui. Ce grand torturé serait-il devenu un père spirituel, « meneur de nos petites âmes paumées » ? Il ne faudrait pas éluder la noirceur et toutes les déchirures d’une vie dont on serait bien en peine de recoller tous les morceaux. Que l’on soit ou non familier de l’œuvre pasolinienne, le récit de voyage d’Adrian est une belle invitation à y puiser, à temps et à contre-temps, les conseils avisés d’un frère en souffrance. D’un artiste touché par le génie qui, sa vie durant, mit son âme en gage, laissant s’entre-déchirer le grand diviseur et le Dieu de miséricorde. « L’être qui court le moins de risque est ici-bas l’être le plus voisin du néant, qui ne risque rien n’est rien. » Le mot n’est pas de Nietzsche, mais de Gustave Thibon… probablement un lointain ancêtre de Pierre Adrian.

  • Des Âmes simples, de Pierre Adrian, éditions des Equateurs, 190 pages, 18 euros.
  • La Piste Pasolini, de Pierre Adrian, éditions des Equateurs, 190 pages, 14 euros.

Pierre Saint-Servant – Présent

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