On n’en finit pas d’explorer et d’étudier le Moyen Age (même si le terme est contesté, à juste titre, par certains historiens). Dominique Barthélémy, bien que professeur d’histoire « médiévale » à la Sorbonne, n’emploie presque pas l’expression dans son dernier ouvrage.
La féodalité de Charlemagne à la guerre de Cent Ans ne présente pas un récit linéaire entre 768 (Charlemagne devient roi des Francs) et 1346 (début de la guerre franco-anglaise). En quatre étapes (« Des Carolingiens aux Capétiens », « Pratiques et acteurs du XIe siècle », « La mutation de l’an 1100 » et « La montée en puissance de la royauté »), il explore le concept de féodalité tel qu’il a été vécu et tel qu’il a évolué dans cette période. Selon le principe de la collection, cette étude, qui tient davantage de l’album que du livre, offre une succession de courts chapitres, abondamment illustrés d’images et de documents.
On pourrait définir la féodalité comme un lien social et juridique par lequel les détenteurs de seigneuries (donc de fiefs) dominent et protègent des vassaux (des guerriers nobles), des hommes libres et des serfs. Tous ceux-là se plient au rite de l’hommage, que Dominique Barthélémy définit ainsi : « rite par lequel on se fait l’homme d’un seigneur (pour les vassaux, en mettant les mains dans les siennes, pour certains serfs, en inclinant la tête et en plaçant sur elle quelques deniers) ».
L’image perdure encore du serf comme une sorte de demi-esclave, parce que le mot vient du latin servus, qui désignait l’esclave dans l’Antiquité. Dans la période qui nous occupe, il en est autrement. Certes, le serf « sert » un seigneur par son travail et sous la contrainte. Mais, avant même la grande mutation sociale, économique et politique qui va faire disparaître le servage, il arrivait que des serfs deviennent chevaliers et, inversement, que des hommes libres deviennent serfs en épousant une femme qui avait le statut de serve.
D. Barthélémy consacre plusieurs pages aux serfs (il reproduit notamment trois textes du XIe siècle). Il préfère définir le servage comme une vassalité de rang inférieur. Le statut de serf n’est pas un état de servitude : « Les serfs en effet sont des paysans et des agents seigneuriaux, les premiers installés à leur compte sur des terres dont on leur reconnaît une part de propriété, les seconds dotés de responsabilités et de rétributions au sein de la maisonnée et de la seigneurie. Ni les uns ni les autres ne vivent véritablement en servitude. Ils ont seulement un statut servile, comportant des charges (un tribut annuel, au moins) et des entraves (l’incapacité à être clerc, à aller en justice, à se marier librement à moins d’autorisation), mais en même temps une certaine vie sociale, aux côtés d’autres paysans ou d’autres agents qui ne sont pas tous formellement serfs. »
Autour de l’an 1100 se situe, selon D. Barthélémy, une grande mutation qui part des villes. Certaines communes s’organisent, avec leur instance judiciaire et leur milice, indépendamment des seigneurs, laïcs ou ecclésiastiques. Il peut y avoir des révoltes sanglantes (à Laon, en 1112). Mais ce n’est pas un mouvement antiféodal, plutôt un mouvement d’émancipation des habitants des villes. Il y a « mainmise d’une bourgeoisie d’élite sur les villes et les bourgades. Mais cette bourgeoisie n’en supprime pas pour autant les comtes et les barons ; au contraire, elle pactise avec eux. Ce sont plutôt les petits vassaux qu’elle tient à distance des villes ». Dans le même temps, à la différence de ce qui se passe en Allemagne et en Italie, il y a affirmation du pouvoir royal face aux grands féodaux.
Bien d’autres aspects seraient à relever dans ce livre qui ne se limite pas à une histoire sociale et institutionnelle, mais scrute certains épisodes (la conquête de l’Angleterre, la première croisade, la croisade albigeoise) et évoque des personnages étonnants (tel la comtesse Almodis de la Marche).
• Dominique Barthélemy, La Féodalité de Charlemagne à la guerre de Cent Ans, La Documentation française, 64 pages (grand format).
YVES CHIRON