On a infiltré la Commission européenne et ce n’est pas triste… (Vidéo)

En avril dernier, la Commission européenne conviait des « influenceurs » du Net à un « voyage d’étude » à son siège bruxellois. L’objectif affiché : les convaincre de « parler davantage d’Europe », et de porter un « récit positif » autour de l’Union européenne. Les youtubeurs du “Fil d’Actu” racontent ce séminaire.

Comment redorer son image lorsque l’on est une institution perçue comme non démocratique, déconnectée des citoyens, et imposant à 500 millions de personnes des politiques contraires à l’intérêt commun ? C’est sans doute en tentant de répondre à cette épineuse question que les communicants de la Commission européenne ont eu l’idée d’accueillir à leur siège des YouTubeurs, Instagrammeurs, et autres « influenceurs » du net, en avril dernier. « C’est une chose qu’on fait très souvent pour les journalistes. On a pensé que ce serait une bonne idée de le faire pour vous, YouTubeurs, en tant que médias qui prenez de l’information et la relayez à vos audiences », explique Guillaume Roty, fonctionnaire chargé de la représentation de la Commission. Avec son collègue François Vlaminck, il animera ce « voyage d’étude pour influenceurs français », consistant en une série de séminaires de « déconstruction des idées reçues sur l’Europe », ponctués de visites des lieux « emblématiques » de l’UE, du Parlement à la salle où Jean-Claude Juncker anime les réunions des commissaires européens…

(…) Ce projet politique, nous allions en avoir un aperçu dès notre premier séminaire consacré aux « Décodeurs de l’Europe », une initiative de la Commission destinée à « lutter contre les idées reçues sur l’Union européenne ». « L’Union européenne, et en particulier la Commission, sont très mal connues. Quand vous en parlez avec quelqu’un dans la rue, un peu partout en France, ce sont souvent les mêmes idées reçues qui ressortent : la Commission européenne n’est pas démocratique, ses commissaires ne sont pas élus, ils veulent la fin des services publics. Ce ne sont pas vraiment des fake news, mais des mythes, ancrés dans l’imaginaire collectif. »

Des critiques injustifiées ? « Certes, les commissaires ne sont pas élus, nous explique Guillaume Roty, mais ce ne sont pas non plus des technocrates. Ils ont une légitimité démocratique indirecte, comme les membres du gouvernement. L’UE fonctionne exactement comme le système démocratique français ». Un élément de langage qui esquive le problème central de la « démocratie » européenne : le caractère supra-national des institutions de l’UE, leur permettant d’outrepasser la volonté exprimée au sein de chacun des États-membres, et de leur imposer des décisions. Pas un problème, pour Guillaume Roty et François Vlaminck : « L’Europe ne marche que si l’on y croit et que l’on en fait respecter les règles. Personne n’a intérêt à trier ce qu’il veut et ce qu’il ne veut pas : on achète un package, même s’il y a des cas où l’on est pas gagnant. S’il y a un changement de majorité dans un pays, le pays reste lié par la parole donnée par le gouvernement précédent. Si le nouveau gouvernement refuse frontalement une directive, il casse la dynamique européenne : ce n’est pas une attitude qui fonctionne. »(…)

Mais ce droit européen, défini dans le cadre de traités impliquant l’unanimité des États-membres, n’est pas neutre. Comme dans le cas des barrages hydro-électriques, il est le reflet d’une conception du monde, inscrite au cœur du projet européen. « Oui, il y a une idéologie derrière l’UE : l’économie sociale de marché. En Europe, on considère que le capitalisme fonctionne, que la concurrence crée de la richesse. La libéralisation du marché de l’énergie a permis de faire baisser les prix, y compris en France. On peut changer les traités par un accord à 27, mais remettre en cause l’économie sociale de marché, non. Personne ne sera d’accord. »

Le discours a le mérite de la clarté, à défaut de s’appuyer sur des faits réels. Tant pis si, dans les faits, les tarifs de l’électricité ont grimpé de 44% pour les consommateurs depuis l’ouverture à la concurrence en 2008, ou si les mauvaises pratiques des fournisseurs privés étaient encore pointées du doigt par le médiateur de l’énergie le 14 mai dernier. Tant pis si, plus largement, des pays comme la Grèce ont subi de plein fouet, dans la vie quotidienne de leurs citoyens, le modèle imposé par l’Union européenne. « Les Grecs ont réagi trop émotionnellement » à la crise et à la saignée, comme nous l’ont déclaré les « influenceurs d’influenceurs » à la pause café. Le modèle n’est pas en cause, il « fonctionne bien ».

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Désinformation ? Mais dans ce cas, qu’est-ce qui peut bien expliquer le désamour actuel pour cette UE qui nous veut du bien ? Susana Ucero Herreira et Simone Levati, fonctionnaires du Service européen pour l’Action extérieure, nous apporteront la réponse lors du séminaire suivant : la désinformation orchestrée par des puissances étrangères ayant intérêt à « déstabiliser la démocratie européenne », et notamment par les Russes, des « champions » en la matière « de par leur histoire ». Le Brexit ? C’est à cause de la propagande russe. Trump ? Itou. L’indépendantisme catalan ? La désinformation appuyée par la Russie, bien sûr.

RELENTS ORWELLIENS

Une « désinformation » à la définition quelque peu étonnante, puisqu’il n’est pas ici question que de fake news, « mais aussi des informations correctes, sorties de leur contexte avec une intentionnalité politique, celle de déstabiliser l’opinion publique ». Une définition problématique, car si le caractère manipulé de l’information ne se juge qu’à l’intention supposée de sa source, qui détermine ce qu’il convient ou non de considérer comme de la désinformation ? Qui, sinon une UE à la fois juge et partie dans l’affaire, appuyée par des plateformes qui, à l’image de Google ou Facebook, « identifient les comptes participant à la désinformation, et en font le rapport régulier aux institutions européennes », lesquelles transmettent ces informations aux États-membres « afin qu’ils prennent des mesures » ?

Dans ce vaste système d’échange de données imbriquant États, institutions supra-nationales et entreprises multinationales, où s’arrête la lutte légitime contre les tentatives d’ingérence extérieures, et où commence le fichage des opposants ? (…)

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Oui, car si le Brexit, le référendum catalan ou la victoire de Donald Trump ont été des échecs, l’UE compte une victoire à son actif sur la Russie, qui a tenté d’empêcher la victoire d’Emmanuel Macron en 2017 en déstabilisant l’opinion publique, mais sur ce coup-là « ils n’ont pas réussi ». Merci la Commission. Mais cette forme de contrôle de l’information n’est qu’un des aspects du travail entrepris par l’UE. L’autre aspect, le plus important, consiste à « développer un narrative (NdA : récit) positif auprès de l’opinion publique » autour de l’UE afin de contrebalancer le « récit négatif » de ceux qui visent « la déstabilisation de l’Union européenne ». Un récit visant à « conscientiser la société » sur les « choses positives faites par l’Union européenne, ses efforts, et leur impact pour les citoyens ». Et Susana Ucero Herreira de conclure : « Quand la Commission communique en tant qu’institution, cela reste perçu comme un message politique par le public. Vous êtes le visage d’un moyen de communication plus fort. C’est à vous de faire passer le message. Ça passera beaucoup mieux si c’est vous qui le faites que si c’est nous. »

DOUZE NOUILLES

Encore une fois, ça a le mérite de la clarté. Il n’en reste pas moins qu’au-delà des discours guerriers, nous avons assisté à l’étalage des armes à disposition. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que nous, « influenceurs », n’avons pas été déçus du voyage : la fierté des fonctionnaires européens de nous présenter, à nous, les « experts de la communication » sur les réseaux sociaux, leurs publications ayant le mieux fonctionné (1000 partages), a donné lieu à quelques sourires gênés, pas seulement parce que c’est un nombre de partages ridicule pour une institution avec des moyens quasi-illimités censée s’adresser à 500 millions de personnes, mais parce que si le « récit positif » sur l’UE consiste en un cliché de drapeau européen fait « avec 12 pâtes pour la journée internationale de la pâte » (si, si), alors c’est qu’ils commencent à être sacrément à court d’idées. On nous a même demandé si, pour s’adresser au public français, il valait mieux que la Commission publie en français ou en anglais (ils n’étaient pas sûrs).

Le voyage d’étude s’est conclu sur la projection d’un film de propagande d’appel au vote du Parlement européen pour le scrutin du 26 mai, assortie de l’explication suivante : « Il est difficile de trouver une chose en commun entre les 500 millions de citoyens de l’Union européenne, du fait de nos différences culturelles. Alors on est partis, pour la communication, de quelque chose que nous partageons tous : on est tous nés ». Sans blague. La vidéo compte à ce jour 33 millions de vues. Du jamais vu pour une chaîne YouTube à 57 000 abonnés dont la plupart des vidéos avoisinent les 1000 vues. Mais en tant que YouTubeurs, nous savons aussi que les vues s’achètent, notamment quand on a des financements quasi illimités provenant des poches de 500 millions de contribuables européens.

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