Catherine Rouvier, bien connue notamment des auditeurs de Radio Courtoisie, vient de faire paraître un essai sur un sujet original et bienvenu en ces temps de grisaille intitulé Surtout ne vous arrêtez pas de rire. Elle y donne cette superbe définition du rire, qui « naît de la rencontre de l’intelligence et de l’émotion ».
— Quelle est l’origine de la naissance de ce petit livre ?
— J’ai toujours écrit. Depuis ma première visite de la Tour Eiffel à 7 ans sur des feuilles de classeur roses jusqu’à aujourd’hui. Mais jusqu’ici je n’avais publié sous mon nom que mes travaux de recherche sur la psychologie sociale, commencée dans le cadre d’une réflexion sur le « pouvoir de suffrage » lors de mon doctorat de droit public. Et bien sûr aussi, actualisé pendant plus de 15 ans, mon Manuel de sociologie politique, d’abord aux cours du droit puis chez Lexis Nexis.
Le reste, poèmes, romans, essais, attend sagement que j’aie le temps de les taper sur ordinateur, car ils sont presque tous écrits à la main. Ayant quitté simultanément il y a un an l’Université et la vie politique, j’ai enfin commencé à avoir du temps. J’ai eu envie de jeter sur le papier une sorte de cri, un appel, une injonction à oublier un peu les contingences, si dures qu’elles puissent paraître, pour s’émerveiller, sourire et pourquoi pas, carrément rire. Certains « chantent sous la pluie ». D’autres pourront je l’espère, un peu grâce à moi, rire sous l’orage !
— Quelle place tient Radio Courtoisie dans votre vie ?
— J’ai rencontré Jean Ferre dès le début de son aventure radiophonique, en 1985, avant même que Courtoisie ne s’appelle ainsi. C’était alors Radio Solidarité. Quelques années plus tard, en 1990, Chantal Dupont, qui avait alors son libre journal sur Radio Courtoisie, me demanda si je pouvais la remplacer pour deux émissions. J’étais alors enceinte de mon second enfant, et fis une émission cathartique sur l’abandon d’enfant. Dans la seconde émission, j’eus l’immense plaisir d’interviewer Claude Autant Lara l’immortel réalisateur de Douce et de La Traversée de Paris. Autant Lara livra dans cette émission des confidences décoiffantes sur l’occupation.
C’est à cause du bon souvenir que j’avais de ces deux émissions que j’acceptai, en 2006, après avoir partagé le livre journal de Jean Gilles Malliarakis un ou deux ans, d’avoir mon propre libre journal, ce que me proposait aimablement Henry de Lesquen.
J’ai décidé, en mai dernier, de confier mon émission à l’abbé de Tanoüarn qui, de fait, me remplaçait de plus en plus souvent, car j’étais candidate puis élue à Aix-en-Provence et n’arrivais pas à tout concilier. J’ai alors reçu des lettres, mails, tweets ou posts sur Face Book d’auditeurs déçus qui m’ont beaucoup émue. Ils étaient tristes. Ils aimaient mon bagout et mon rire. Il fallait que je revienne. Je me suis souvenue alors de cette injonction « Surtout, ne vous arrêtez pas de rire ! » Et j’ai eu envie de leur offrir un petit livre en forme d’hommage mais aussi de conseil, pour qu’ils puissent trouver en eux-mêmes cette joie que je procurais mais que je ressentais aussi grâce à eux à chaque émission.
On peut donc dire que ce livre est l’enfant de Radio Courtoisie autant que le mien.
— Vous évoquez votre rire comme une grâce reçue, mais parfois gênante : le rire serait donc le propre de l’homme, mais non de la femme ?
— En effet ! L’interdiction du rire par les 4×4 de l’ordre moral dans l’Afghanistan sous domination talibane, dont j’avais eu connaissance par un reportage télévisé très impressionnant, m’avait révélé que l’islam radical était hostile au rire, comme à la musique, aux danses et aux chansons, et que cette interdiction était pour tous, hommes et femmes.
Je me suis dès lors interrogée sur la place du rire eu égard aux « bonnes mœurs » et à la religion dans nos sociétés. Un livre du début du XXe siècle destiné à l’éducation des jeunes filles, que possédait ma grand-mère, mentionnait la nécessité pour elles de ne pas rire « trop fort » et surtout pas « à gorge déployée », ce qui risquait d’allumer chez l’homme une concupiscence de mauvais aloi.
J’avais pu par ailleurs faire moi-même l’expérience de l’agacement de mes professeurs lorsque je riais ou faisais rire, et aussi de la séduction qu’exerçait ce rire sur des hommes, facilement convaincus qu’une femme qui donne ainsi son rire se donnera tout entière à la première sollicitation.
“On apprend le rire, comme tout le reste, dès l’enfance, en famille”
— Peut-on rire seul, ou le rire doit-il être partagé ?
— Depuis la parution du livre, j’ai dû affronter la protestation d’amis, en général masculins, me disant qu’ils riaient très bien tous seuls, avec une bonne BD ou devant un film comique. J’insisterai alors sur le « pas longtemps » de ma phrase : « On ne peut rire seul, ou alors pas longtemps. »
Nos rires, le plus souvent, se nourrissent de ceux des autres, et sont souvent contagieux. On rit de voir l’autre rire d’une bonne plaisanterie qui nous a fait rire nous-mêmes une fois, mais ne saurait nous faire rire en continu. On rit de bonheur avec ceux qui partagent ce bonheur. Et surtout – c’est le propos central – on apprend le rire, comme tout le reste, dès l’enfance, en famille.
— N’y a-t-il pas un rire méchant, à proscrire ?
— J’avais d’abord retenu cette idée, puis je l’ai écartée. Car le rire sardonique, moqueur, de dérision, rend tout de même plus supportable la critique ou l’insulte que si elle est assénée avec, en prime, un regard de haine ou de sévère réprobation. L’insulté trouve plus facilement le dérivatif de l’auto-dérision en abondant dans la critique de lui-même avec bonne humeur, ou bien la répartie qui, sous couvert d’humour, va à son tour assassiner le contradicteur. Un partout, la belle au centre ! J’ai donc délibérément défendu, dans le livre, l’idée que dans le rire tout est bon, avec la mauvaise foi nécessaire à toute défense inconditionnelle – et là c’est l’avocate que je suis qui parle d’expérience.
— Certaines de vos pages pourraient également figurer dans un « Eloge du vin ». Vous ne donnez donc pas dans ce travers moderne de mépris des « vignes du Seigneur » ?
— Mon éloge du rire est aussi une défense du rire face à cette civilisation arabo-musulmane qui tend à nous imposer de plus en plus ses codes, certes très respectables, mais contraires à notre civilisation bimillénaire.
Le christianisme a donné au vin toutes ses lettres de noblesse puisqu’il figure, dès la Cène, la veille de la crucifixion, le sang du Christ qui nous lave de nos péchés. Il avait déjà une place importante chez les juifs, comme nous l’apprend l’épisode des noces de Cana et le « Ils n’ont plus de vin ! » lancé comme un cri de détresse par Marie.
Le lien entre rire et vin a, bien sûr, été fait par l’orfèvre en la matière qu’était Rabelais, et je ne prétends pas à l’originalité sur ce point. Mais en ces temps d’écologie parfois dictatoriale qui en souligne (à juste titre) les risques lorsqu’on en abuse, il m’a paru utile d’en rappeler les bienfaits pour un buveur raisonnable.
Propos recueillis par Anne Le Pape pour Présent
- Catherine Rouvier, Surtout ne vous arrêtez pas de rire, éd. Godefroy de Bouillon, 86 pages, 15 euros.