Le musée d’Orsay a entrepris, depuis une dizaine d’années, de présenter un à un les Nabis : Vuillard, Vallotton, Denis. Vient le tour de Pierre Bonnard.
Mais qu’est-ce que les Nabis ? Postérieurs à l’impressionnisme, ils délaissent les rives et les champs. Leur préférence va aux parcs, aux squares. Dans leurs toiles la nature est souvent un jardin vu depuis une fenêtre (L’atelier au mimosa). Ils tirent des intérieurs bourgeois parisiens des effets intimes et poétiques (Le dîner sous la lampe). Nageurs paisibles dans le courant du fleuve symboliste, ils sont profondément marqués par les recherches de Gauguin, mais n’en gardent que l’aspect décoratif. La forme ne sera jamais chez eux une priorité. Ils préfèrent la dissoudre dans la lumière d’un abat-jour.
Pierre Bonnard (1867-1947) subit l’influence conjuguée de Gauguin et du Japon. Félix Fénéon le surnommera le « Nabi très japonard ». Un superbe paravent avec grue bleue, bambous vert Véronèse et autres canards coloré est l’exemple le plus abouti d’une assimilation de l’art nippon, avec des réminiscences des oies peintes par Gauguin à Pont-Aven. La peinture de Bonnard tend à l’à-plat et à l’arabesque. Quatre panneaux décoratifs, Femmes au jardin, sont représentatifs de sa manière: les robes sont traitées comme un motif à part entière.
Techniquement, Bonnard (comme Vuillard) est intéressant par son parti-pris de peindre mat. Peinture sur papier, sur carton, il fait un choix qui interdit la brillance. Ce refus du vernis sied à la recherche décorative de sa peinture et à l’humilité des sujets. Des femmes nues dans la lumière d’un appartement; des chats qui exigent leur bol de lait ; des enfants qui jouent (La cueillette des pommes) ; une tarte aux cerises qui attend sous les feuillages – une grande simplicité règne chez Bonnard. Non exempte d’inquiétude parfois : les nus allongés dans la baignoire, toute une série, font suite au suicide de la maîtresse de l’artiste.
Bonnard est parfois touché par la grâce (Le bol de lait). Mais parfois celle-ci le fuit. L’après-midi bourgeoise (dite aussi La famille Terrasse) est une redite de la lourde Réunion familiale de Bazille. Les Nabis ont eu le mérite de rester fidèle à l’art figuratif fort avant dans le XXe siècle. Mais – Maurice Denis et Edouard Vuillard exceptés, le premier a un registre plus étendu, le second est peut-être le talent le plus riche de toute la bande – leur refus de la forme les a cantonnés dans un art souvent répétitif. C’est flagrant chez Bonnard, dont les grands panneaux décoratifs (Le Plaisir, Après le déluge, etc.) laissent un goût de déjà-vu.
Pierre Bonnard – Peindre l’Arcadie. Jusqu’au 19 juillet 2015, musée d’Orsay.
Lu dans Présent