14-18 / Les chants des soldats

Par Paul Gard

Le centenaire du début de la Première Guerre mondiale a provoqué l’édition de quelques disques reproduisant les chansons qui furent les plus populaires et que les troupes chantaient au cours de leurs déplacements ou au cantonnement. Toutes ne sont pas d’une très haute élévation de pensée et d’inspiration, ce répertoire ayant notamment emprunté des « œuvres » au répertoire des cafés-concerts du début du XXe siècle. Certains de ces chants, créés et composés par un mobilisé anonyme, n’ont parfois été connus que des camarades de l’auteur de circonstance. Ces chants ont peu de chance de figurer dans les anthologies. Et, objectivement, il faut bien dire que la musique et les paroles de certaines de ces chansons ne méritent pas un tel honneur.

J’ai entendu l’une de ces chansonnettes, fredonnée par un oncle, lorsque j’étais gamin. Comme tous ceux de sa « classe », mon oncle avait participé au conflit. Il n’en parlait jamais. La seule allusion qu’il ait faite à ses années passées sous les drapeaux, c’est le texte de la chanson, à vrai dire une simple rengaine, qu’un de ses camarades avait serinée inlassablement, sur un air monotone et récitatif, pendant un long trajet dans un de ces wagons « Hommes 40-Chevaux 8 (en long) » encore utilisés pour le déplacement des troupes pendant la guerre de 39-45. Etait-ce le chanteur qui l’avait créée ou la tenait-il d’un autre ? Je ne sais pas. Mais ça disait :

« Jésus-Christ dans l’Evangile/N’était pas un imbécile/Car dans un repas fameux/Avec d’l’eau fit du vin vieux/Fair’ du vin avec d’l’eau d’source/V’là vraiment un homm’ de r’ssource/Quel dommage en vérité/Qu’on n’l’ait pas mobilisé/On lui aurait dit :  Mon poteau/Fais-nous du vin, voilà de l’eau ! »

Cette bien modeste chanson, malgré ses paroles simplistes et l’indigence de sa musique, mérite de ne pas tomber dans l’oubli. Elle berça les heures monotones et difficiles de braves gens comme vous et moi qui, leurs lettres le prouvent, trouvèrent normal de se sacrifier pour la patrie. Ces héros étaient aussi des hommes.

Lu dans Présent

 

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