Prestidigitateur-illusionniste et pionnier du spectacle cinématographique, Georges Méliès crut à l’avenir de l’image animée avant les frères Lumière eux-mêmes. Inventeur des truquages, il fut le premier à exprimer par le cinéma la féerie, le merveilleux et le fantastique.
Le père du cinéma de divertissement
Ses études secondaires achevées, Georges Méliès entre sans conviction dans la fabrique paternelle de chaussures, où il acquiert une précieuse habileté manuelle. Il se marie en 1885 et part pour Londres confectionner des automates et apprendre la prestidigitation. De retour à Paris, il exerce son art au musée Grévin, tout en s’adonnant à la peinture et au dessin satirique. En 1888, il achète le théâtre Robert-Houdin et y présente des spectacles de magie. Il met au point des machines pour de nouveaux tours qu’il exécute lui-même sur scène. Les séances se terminent fréquemment par la projection de photographies peintes.
Le 28 décembre 1895, à l’issue de la célèbre projection cinématographique du Grand Café, Méliès propose à Antoine Lumière d’acheter l’appareil de ses fils : celui-ci refuse, préférant l’exploiter lui-même. Méliès aurait alors fabriqué un appareil semblable sur les plans d’un opticien anglais (William Paul), ou en achetant le procédé de l’Isolatograph. Avec son « Kinétograph », il tourne dès 1896 ses premiers films sur des pellicules qu’il perfore à la main (Une partie de cartes, Une bonne farce de chiffonnier). Dénués d’originalité propre, ceux-ci ressemblent fort aux premières vues des frères Lumière ou reproduisent des numéros de prestidigitation.
L’apport fondamental de Méliès au cinéma naissant date de cette même année 1896 : il choisit en effet d’exploiter le « cinéma dans sa voie théâtrale spectaculaire ». Il crée le film à trucs, ou « vues fantastiques ». L’illusion étant la base de son cinéma de divertissement, il invente en les combinant aussi bien les effets qui relèvent du théâtre (machinerie, déroulants, maquettes, mannequins, pyrotechnie) que les truquages purement cinématographiques, qu’il réalise par arrêt de la caméra ou surimpression (simple, multiple, sur fond noir, avec cache, fondu). Enfin, le flou et même le travelling sont parfois utilisés.
L’infatigable novateur
Pour parvenir totalement à ses fins, Méliès construit à Montreuil-sous-Bois, en 1897, le premier studio de cinéma. Celui-ci mesure 17 mètres sur 66 ; sa toiture vitrée, installée à 6 mètres du sol, domine la scène, la fosse et la machinerie théâtrale. Il ne reste plus à Méliès qu’à donner libre cours à son imagination, ce dont il ne se privera guère : 503 films sont à ce jour recensés. Le public s’émerveille devant ce cinéma « impossible », remarquable par sa fantaisie poétique et présentant d’ingénieuses machines (Escamotage d’une dame chez Robert-Houdin, 1896 ; le Voyage dans la Lune, 1902 ; Vingt Mille Lieues sous les mers, 1907) ; il est ébloui par les actualités cinématographiques que Méliès reconstitue en studio (Explosion du cuirassé « Maine », 1898 ; l’Affaire Dreyfus, 1899 ; Sacre d’Édouard VII, 1902).
Alors que l’industrie cinématographique s’organise, que les scénarios sont plus élaborés et qu’apparaît la société le Film d’Art, Méliès poursuit sa production artisanale, utilisant trop souvent l’illusion comme une fin en soi, sans jamais parvenir à prendre assez de distance avec les conventions théâtrales. Irrésistiblement, le novateur devient anachronique. En 1911 et 1912, il réalise ses derniers films pour Pathé : respectivement les Hallucinations du baron de Münchhausen et À la conquête du pôle. Sa société de production (la Star-Film) ayant fait faillite, il crée à Montreuil le théâtre des Variétés artistiques, qu’il anime avec sa famille pendant la Première Guerre mondiale et jusqu’en 1923. Définitivement ruiné, oublié, il ouvre une boutique de jouets deux ans plus tard, dans la gare Montparnasse. « Vers 1928, écrit l’historien du cinéma Georges Sadoul, les journalistes le découvrirent, le sacrèrent précurseur et poète. On organisa un gala pour l’ancêtre, on le décora, le plaça dans une assez médiocre maison de retraite, le château d’Orly, en 1932. » Méliès meurt six ans plus tard à l’hôpital Léopold-Bellan.