À chaque pays son luxe culinaire. En Chine, il se niche dans les nids d’hirondelles. Ce « caviar de l’Orient » constitue une base pour réaliser des soupes, des desserts ou des boissons. Le prix est délirant : jusqu’à 1200 euros le kilo et un marché qui avoisine les cinq milliards de dollars annuels.
Des dizaines de gigantesques hangars en béton ont poussé ces dernières années autour de la petite ville de Bokpyin, en Birmanie, pour que les hirondelles y construisent leurs précieux nids, faits de bave solidifiée. Les nids seront ensuite revendus en Chine, qui raffole de ce mets de choix. Le moyen pour attirer les milliers de volatiles dans ces nichoirs géants ? Tous les matins et tous les soirs, des enregistrements de pépiements d’oiseaux sont diffusés via les haut-parleurs installés aux fenêtres des hangars.
L’élevage d’hirondelles est devenu l’une des principales sources de revenus pour les habitants de cette région agricole plutôt connue jusque-là pour sa production d’huile de palme, de caoutchouc naturel et de noix de bétel, sorte de chewing-gum naturel aux vertus excitantes. Les nids se vendent près de 1200 euros le kilo aux grossistes chinois, soit le salaire annuel moyen en Birmanie.
Ce plat, s’il reste cher, est de plus en plus recherché par la classe moyenne chinoise grandissante
Une fois arrivés à destination, dans les restaurants chics de Pékin ou Shanghai, les nids d’hirondelles sont dissous en une sorte de gelée blanchâtre qui sert de base à des desserts, des soupes ou des boissons. La médecine chinoise leur prête de nombreuses vertus, même si les études nutritionnelles montrent que la salive des hirondelles est surtout riche en protéines. À Bokpyin, « nous avons commencé à construire ces tours à hirondelles il y a une dizaine d’années », raconte Paing Set Aung, qui en possèdent plusieurs. « Au début, il y avait un hangar où les hirondelles venaient nicher d’elles-mêmes. Cela a donné l’idée aux habitants de construire des nichoirs » géants, ajoute-t-il. La plupart des nids produits ici prennent ensuite le chemin de la Chine pour satisfaire les gourmets. Longtemps limité aux tables des banquets des élites, ce plat, s’il reste cher, est de plus en plus recherché par la classe moyenne chinoise grandissante.
Le « caviar de l’Orient », coûte plusieurs centaines d’euros le bol
Le marché annuel des nids d’hirondelles pèse quelque cinq milliards d’euros. Une aubaine pour les pays d’Asie du Sud-Est, principale région productrice de nids d’oiseaux en Asie, et notamment pour la Birmanie, un pays dont les exportations ont explosé depuis l’autodissolution de la junte en 2011 et l’ouverture économique. « Les nids d’hirondelles sont l’un des principaux secteurs d’activités à Bokpyin », explique un éleveur, Lin Aung, qui en est à la construction de sa troisième tour en cinq ans. « La Chine est l’acheteur numéro un de nids d’oiseaux ici », confirme-t-il.
À Shanghai, de nombreux restaurants proposent ce « caviar de l’Orient », à plusieurs centaines d’euros le bol. Le public féminin est particulièrement visé, les nids d’hirondelles se voyant prêter des vertus de rajeunissement de la peau et de bienfait pour les femmes enceintes. Un spa de luxe de Shanghai le propose même à ses clientes enceintes au menu de son restaurant, ainsi que sous forme de crèmes de beauté, vendues plus de 500 euros le coffret cadeau. Ces nids d’oiseaux se vendent aussi en ligne, notamment intégrés à des bonbons. « En Chine, les nids d’hirondelles sont un stimulant traditionnel vraiment connu et apprécié depuis des lustres », explique Zhang Yi, propriétaire du restaurant NestCha de Shanghai. « C’est bon pour les femmes, les vieux, les enfants et les hommes », assure la restauratrice.
Les nids d’hirondelles sont récoltés trois ou quatre fois par an
La transformation de ces nids d’hirondelles en mets de luxe est bien loin de leurs modestes origines dans le sud de la Birmanie. Le procédé de collecte traditionnel était périlleux : les Birmans les récoltaient en escaladant les falaises des îles où les hirondelles venaient naturellement nicher. Aujourd’hui, les nids d’hirondelles sont récoltés trois ou quatre fois par an, pour satisfaire le gourmand marché chinois. Pendant des décennies, le secteur a été contrôlé par un puissant conglomérat économique militaire, qui a perdu son monopole en 2016. A Bokpyin, près de Myeik, producteurs de nids d’hirondelles et professionnels du tourisme se disputent désormais à prix d’or les terrains, faisant grimper les prix au niveau de ceux de Rangoun, la capitale économique birmane. Car cette région de bord de mer, prisée des hirondelles, l’est aussi des opérateurs du tourisme.