(Photo: Jacques Boucher de Crévecoeur de Perthes)
Par Charles Chaleyat
S’il nous paraît tout naturel aujourd’hui de parler de préhistoire et de l’origine de l’homme et de disserter avec Yves Coppens – l’inspecteur Clouzeau du Quaternaire – de la forme, la vie, les conduites de Lucy vieille de 3,2 millions d’années ou de Toumaï encore plus vieux, il n’en fut pas ainsi dès l’origine de l’histoire de l’Homme. Et pourtant que d’années de travail, de prospections, de hasards, que d’écritures et de théories pour postuler quelle fut l’origine de l’homme et sa longue histoire d’Homo erectus à Homo sapiens, en passant par Homo ergaster et Homo Neandertalensis !
Le passé de la science du passé
Les Grecs attribuaient les pierres polies à la foudre, ainsi que nombre de peuples traditionnels le firent pendant des siècles, comme les Peuls d’Afrique Occidentale. Les ossements fossiles étaient attribués à des géants ou des monstres. Pendant des siècles, on se posa peu de questions sur le passé de l’homme tout en collectant les fossiles dans les Cabinets de curiosité*. L’archéologie préhistorique est née au XIXè siècle, après que quelques précurseurs eurent ‘pensé’ la Préhistoire.
Ainsi Lucrèce** fit-il l’hypothèse des trois âges : l’âge de la Pierre, l’âge du Bronze et l’âge du Fer, classification que Mahudel reprit en 1734, longtemps utilisée et transformée par Lubbock en 1865 en Paléolithique et Néolithique.
Les prémices de l’archéologie
L’archéologie préhistorique put réellement démarrer quand naquit une nouvelle théorisation de l’histoire du monde fondée sur les travaux de Buffon et Lyell : l’évolutionisme des géologues et des naturalistes postulant une grande ancienneté de la planète et une évolution des espèces animales et végétales (de Lamarck en 1809 et Darwin en 1859). Dès lors, lorsqu’il associa dans ses écrits (1846 et 1864) les pierres taillées qu’il trouvait dans les alluvions de la Somme avec les ossements d’animaux disparus, Jacques Boucher de Crévecoeur de Perthes fonda l’archéologie préhistorique (ou la préhistoire comme discipline scientifique). Un temps sceptique l’intelligentsia de l’époque fut ultérieurement (1859) convaincue par le soutien des géologues anglais Falconer, Evans et Lyell et des français de Quatrefages et Lartet. Rapidement la discipline se développa grâce aux nouvelles fouilles et aux théorisations du lointain passé par G. de Mortillet et l’abbé Breuil et grâce aussi aux découvertes qui se multiplièrent : néandertal, pithécanthrope (à Java par Eugène Dubois) puis australopithèques jusqu’à Lucy et Toumaï, entrainant chaque fois controverses et nouvelles théories sur l’Homme.
L’extension des recherches hors d’Europe conduisit bien évidemment à repenser régulièrement son histoire (origine, filiation, inventions, domestications, organisations sociales, création artistique, religion, etc..) en se servant plus ou moins bien de ce qu’on avait appris grâce à l’anthropologie des populations successivement appelées – en fonction du politiquement korrekt – primitives, traditionnelles ou premières : Amérindiens, Sibériens, Bushmen et Aborigènes entre autres…
Nous avons retenu, depuis ces précurseurs, que les résultats du comparatisme sont à prendre avec précautions car si les vestiges existent, très peu d’entre eux renseignent vraiment sur les institutions, conduites, rites et croyances des peuples sans écriture, l’anthropologie nous montrant en sus, que chaque peuple semble s’évertuer à être différent des autres dans ses coutumes, ses techniques, ses arts, ses monuments et son organisation.
*dont celui de Ferchault de Réaumur intégré en 1729 au Cabinet du Roi.
**De natura rerum, Ier siècle av. J.-C.