C’est du côté de Boisset que lorgne ce thriller politique mouvementé comme un sérial, qui nous plonge dans les sales draps de la Cinquième république, avec magouilles financières et conspirations de groupuscules d’extrême droite en croisade contre la gangrène socialiste qui menace l’Europe. Cherchant à protéger son meilleur ami le député Philippe Dubaye (Maurice Ronet) qui lui avoue avoir tué un politicien véreux, Xavier Maréchal (Alain Delon) accepte de lui fournir un alibi puis rentre en possession d’un dossier compromettant lorsque Dubaye est à son tour assassiné. Des tueurs et la police se lancent à ses trousses pour récupérer ces documents. Lautner, Delon et Audiard à l’assaut de la fiction de gauche ? Pas vraiment. Mort d’un pourri est avant tout l’histoire de la vengeance d’un homme seul. Le film, adapté d’une série noire de Raf Valet (pseudonyme de Jean Laborde qui était aussi chroniqueur judiciaire à « France-Soir ») se nourrit de scandales et faits-divers réels et retranscrit l’atmosphère de corruption et d’instabilité politique des années 70. Mort d’un pourri figure parmi les nombreux films français écrits ou réécrits en secret par Claude Sautet qui louait ses services de scénariste à de nombreuses productions commerciales sans apparaître au générique. Quant aux dialogues ils sont bien signés Michel Audiard plutôt en forme qui évite de justesse le « tous pourris » de rigueur et parvient à mettre son antigaullisme viscéral en sourdine tout au long du film pour délivrer in fine un message anarchisant dans la bouche de Delon, sur le point de régler son compte à un flic fasciste exécuteur de basses œuvres (Michel Aumont excellent dans le même registre veule et halluciné que dans Nada de Chabrol) : « Les deux fléaux qui menacent l’humanité sont le désordre et l’ordre » et « la corruption me dégoûte et la vertu me donne le frisson. »
Comme Le Septième Juré (autre réussite « sérieuse » de Lautner) Mort d’un pourri est un film sur le dégoût, traité sur le mode du thriller d’action. Ni flic ni truand mais fier justicier évoluant parmi les nombreux « pourris » du film Delon est convainquant au cœur de cette ténébreuse affaire menée tambour battant. Comme d’autres polars de cette époque Mort d’un pourri parvient à capter les transformations urbanistiques de la capitale et Lautner dans ses choix de décors modernes, froids et déshumanisés, vise juste. Le film offre une riche galerie de personnages grotesques, minables ou inquiétants qui existent le temps de quelques scènes grâce à leurs interprètes : Daniel Ceccaldi, Julien Guiomar, François Chaumette, Klaus Kinski plus plein de « gueules » et seconds couteaux du cinéma français de cette époque. Sans oublier le grand Maurice Ronet, copain de Delon et son double pervers dans trois films : Plein soleil, La Piscine et celui-ci. Le meurtre de Stéphane Audran en caméra subjective, sa défenestration semblent échappés d’un « giallo » de Umberto Lenzi. Belle photographie de Henri Decaë, belle musique de Philippe Sarde avec Stan Getz au saxophone.
Source Arte