Il est aisé d’établir l’état des lieux. La société marchande contemporaine dont l’hégémonie s’est progressivement imposée au cours des dernières décennies a détruit de fait les valeurs traditionnelles garantes de la continuité de notre civilisation. L’Europe avait construit au fil des siècles un modèle culturel combinant ses héritages anciens, son histoire chrétienne et les acquis de la révolution des Lumières et du progrès scientifique. Tout cela a été remis en cause à la faveur de l’effacement politique qui a accompagné notre « sombre XXème siècle », marqué par la « guerre de trente ans » suicidaire qui s’est déroulée de 1914 à 1945 et par l’américanisation de ses modes de vie qui s’est imposée à partir des années soixante du siècle dernier. Accompagnant ce processus, le phénomène soixante-huitard – dont les nostalgies révolutionnaires frisaient le ridicule tant elles apparaissaient anachroniques — n’en a pas moins entraîné, au nom d’un libertarisme frénétique résumé dans « l’interdiction d’interdire », la remise en cause de la plupart des fondamentaux de nos sociétés avec, au final, le résultat calamiteux que nous constatons aujourd’hui. Il a fallu, pour en arriver là, la « déconstruction » qu’évoquera tout à l’heure François Bousquet, la remise en cause générale des valeurs morales traditionnelles de responsabilité, d’effort, de patriotisme, d’héroïsme ou de dépassement de soi au service d’un idéal en fonction d’un sens donné à la vie, au delà de l’individu narcissique devenu la figure dominante d’aujourd’hui. On a constaté également, à la faveur des illusions entretenues par un égalitarisme synonyme de nivellement par le bas, un inquiétant recul des savoirs allant de pair avec l’abandon programmé des « humanités « traditionnelles.
Tout cela n’est que le résultat d’une démolition patiemment mise en œuvre depuis la désastreuse réforme du collège unique, dont les conséquences prennent toute leur ampleur aujourd’hui, condamnant les parents d’élèves à se tourner vers l’enseignement privé et de mettre pour beaucoup leurs espoirs dans celui dispensé par les écoles hors contrat. Dans une société de plus en plus déshumanisée par l’hégémonie de la technique et le culte exclusif de l’argent et du profit, nous constatons le triomphe de l’immédiat, de l’instantané, du futile ou du dérisoire auquel se rattache compulsivement l’homo festivus du regretté Philippe Murray. La poursuite d’une telle évolution ne peeut que s’avérer catastrophique et aggraver encore les différents maux dont souffre aujourd’hui une Europe totalement insérée dans un processus de mondialisation destructeur des identités et synonyme de disparition à moyen terme, dans un monde où les nouveaux rapports de force démographiques et économiques vont fatalement remettre en cause l’ordre établi à l’abri duquel la décomposition que je viens d’évoquer a pu s’imposer au cours des dernières décennies.