“Nous traitons les enfants comme des individus plutôt qu’en fonction de leur sexe”, explique Lotta Rajalin, la directrice d’Egalia. Car les écoles maternelles sont censées combattre la répartition traditionnelle des rôles entre les sexes, promouvoir l’égalité et laisser les enfants se forger librement leur propre identité. C’est ce que préconise la loi sur l’enseignement de la petite enfance de 1998. Mais, quinze ans après, la répartition traditionnelle des rôles entre les sexes perdure dans un grand nombre d’établissements. Les contrôles des écoles maternelles municipales effectués par l’inspection académique en 2009 et en 2010 ont révélé qu’une commune sur trois ne s’associait pas activement à l’application de cette pédagogie axée sur la prévention des stéréotypes et sur l’égalité des sexes, que prévoit le programme sur la petite enfance.
“De grands progrès ont été réalisés depuis que j’ai commencé à travailler sur le thème de l’égalité des sexes dans les maternelles, en 1994. Mais, dans bien des domaines, on en est au point mort, par exemple sur la composition des groupes dans les classes”, observe Kristina Henkel, formatrice et spécialiste de l’égalité des sexes en milieu scolaire et préscolaire. “Il ne suffit pas d’observer l’égalité des droits entre hommes et femmes. La question est de savoir comment nous nous considérons en tant qu’hommes et en tant que femmes.” La méthode fondée sur la prévention des stéréotypes et sur l’égalité des sexes a percé au milieu des années 1990, lorsque les écoles maternelles Tittmyran et Björntomten de Gävle [au nord de Stockholm] se sont lancées dans un projet visant à révéler les différences de traitement des enfants en fonction de leur sexe. Les enseignants ont découvert un univers insoupçonné lorsqu’ils ont commencé à filmer leurs activités. Les vidéos ont notamment révélé que les petits garçons se voyaient accorder plus d’espace et qu’ils étaient encouragés à prendre des initiatives tandis que l’on apprenait aux petites filles à devenir des auxiliaires et qu’elles suscitaient rarement l’attention des adultes.
Individu unique
Les différences entre les sexes étaient aussi marquées sur le plan linguistique : les dialogues avec les petites filles comportaient souvent des mots difficiles et des phrases longues tandis que les petits garçons se voyaient donner des directives concises. Les travaux des deux écoles ont ouvert un nouveau chapitre de l’histoire de l’égalité des sexes. L’école Egalia, qui a ouvert ses portes en mai 2010 à Södermalm [quartier de Stockholm], en fait partie. La méthode qu’on y applique repose sur une vision de l’égalité des sexes qui se retrouve dans l’ensemble des activités.
Les études réalisées sur le sujet montrent que la manière dont l’enfant est traité dépend de son sexe – depuis sa naissance. D’où le rôle primordial de la langue. A Egalia, pour désigner l’enfant on n’emploie pas de termes sexués comme “garçon” ou “fille”. On se sert du prénom ou des termes “personne” ou “kompis” [copain : désigne un garçon ou une fille]. Les pronoms personnels “han” [il] et “hon” [elle] ne sont pas proscrits, mais ils sont employés en alternance avec le pronom neutre “hen”. La méthode – en particulier l’emploi du neutre pour désigner les enfants – a fait des vagues. Les enseignants ont reçu des menaces par mail, ainsi qu’un colis contenant deux poupées, fille et garçon.
Pour Lotta Rajalin, ces attaques résultent d’un malentendu : l’école empêcherait les enfants d’être sexués. “L’idée, ce n’est pas que tous soient égaux, ni de les priver de quoi que ce soit, mais que l’enfant soit éduqué comme un individu unique. Nous n’avons pas l’intention de supprimer le sexe biologique. C’est sur le sexe ‘social’ que porte notre travail”, fait valoir la directrice d’Egalia.
Pour Kristina Henkel, la langue est également l’une des clés du changement, d’où l’importance du pronom neutre “hen”. Par exemple, certains enfants peuvent avoir envie de porter des vêtements généralement attribués à l’autre sexe. “La langue nous influence tous, tout le monde a un sexe. C’est pourquoi il est si pratique d’avoir un pronom neutre. Le pronom ‘hen’ permet à l’enfant de se forger librement son identité”, assure-t-elle.
Résistance
Même si l’emploi du terme rencontre une certaine résistance, Kristina Henkel estime qu’il pourrait entrer dans l’usage plus vite qu’on ne le pense. “Je cite souvent l’exemple du mot ‘snippa’. Ce sont les parents qui ont soulevé la question de savoir pourquoi il n’existait pas de terme pour désigner le sexe des petites filles et nous avons imaginé le mot ‘snippa’ [dérivé du terme snopp qui désigne le sexe des garçons]. Au début, les enseignants avaient du mal à l’employer. Mais il s’est rapidement imposé. Cinq ans plus tard, il semble naturel. Tout le monde dit ‘snippa’.”
Reste à savoir comment inciter davantage d’établissements préscolaires à se conformer à l’objectif de la loi sur l’enseignement en matière d’égalité, qui vise à combattre la répartition stéréotypée des rôles entre les sexes.“Selon les termes de la loi, les établissements sont tenus de recenser chaque année les domaines dans lesquels des progrès restent à accomplir – mettre un terme aux jeux qui font une différence entre les sexes, par exemple. Mais les résultats se font attendre, et le suivi n’est pas suffisant”, conclut Kristina Henkel.