Restons courtois!

Les servitudes langagières font toujours plaisir à entendre. A fortiori lorsqu’elles sont prononcées à bon escient. Quand faut-il dire «Pardon» plutôt que « Je m’excuse» ou «Excusez-moi» ? Quelles sont les règles de la convenance et d’où viennent-elles ? Le Figaro revient sur le bon usage de ces formules de politesse.
Faire amende honorable n’est jamais chose simple. À y tendre l’oreille dans le métro parisien et à y observer le manque de civilité qui règne dans les magasins, dans la rue comme au travail, il semblerait que la politesse soit devenue le fait de gens trop policés pour vivre dans la polis.
Ainsi le bon usage mis à rude épreuve au quotidien se retrouve-t-il parfois, voire souvent à la merci de gens sans merci. Les termes de déférence étant perçus comme de vieilles servitudes langagières ou pis, comme de vulgaires paroles de subordination. De quoi parfois prendre des excuses comme des insultes…
Dommage. «Un seul mot, usé, mais qui brille comme une vieille pièce de monnaie: merci!», comme l’écrivait un jour Pablo Neruda, n’est jamais de trop lorsqu’il s’agit de faire preuve d’humilité. N’en déplaise au langage châtié d’internet, Le Figaro vous propose de redécouvrir quatre formules de politesse.

● Un merci mercantile
Si l’amour ne s’achète pas, comme dit le dicton, ce n’est pas le cas de la merci. Du latin merces «salaire, récompense, intérêt», le nom féminin sous-entend par essence l’idée d’un «marché» entre deux individus. «Pour Dieu et pour moi, ayez, la merci que je vous demande», implore Lancelot dans le Chevalier de la Charette de Chrétien de Troyes. Comprenez: «Ayez la pitié que je demande, en retour de…» Ne peut-être en effet obtenu «la grâce» ou «la pitié» d’autrui, qu’en échange d’un bien «mercantile».
La merci, «état de dépendance vis-à-vis de quelqu’un», suggère également en ses racines l’idée d’un rapport vertical. «Merci, sire, soyez en paix», dira plus haut dans le texte Lancelot. Une manière de signifier sa sujétion à son bienfaiteur. N’est donc pas étonnant de retrouver la conception d’asservissement dans les expressions «être corvéable à merci» et «se rendre à merci» (capituler).
Outre ces «rapports d’intérêt» sur lesquels se fonde le substantif féminin, le mot merci, accordé au masculin, peut prendre les sens de «grâce» et «pitié». Adieu donc le marché et bonjour la charité!
Rien à voir en effet avec le paronyme latin merx «marchandise», quand le nom devient masculin. Employé dès 881 en France sous la forme mercit, pour «demander grâce», le mot prendra tour à tour, les sens de «pitié», «faveurs d’une dame» et «remerciement». Signification qui nous est restée aujourd’hui.
Parfois souligné d’un adjectif numéral «mille mercis» ou accolé au nom de Dieu, dans l’expression «Dieu merci!» pour remplacer le terme «heureusement», le substantif s’utilise de nos jours, principalement pour faire état de sa gratitude. Souvent présent à la fin de messages électroniques et lettres, le terme merci s’écrit indifféremment avec les prépositions «de» et «pour». Une parfaite manière de signifier à votre locuteur, y compris derrière votre ordinateur, votre reconnaissance et modestie.
Remarque : si l’Académie française n’a pas tranché entre les expressions «merci pour» et «merci de», toutes les deux correctes, il faut toutefois préciser que placé derrière un verbe à l’infinitif, la locution exacte sera toujours et seulement «merci de».

● Un pardon humain
Faute avouée est à moitié pardonnée. Le dicton n’a rien inventé: quand le pardon est invoqué, c’est toujours pour absoudre le «fauteur». Du latin donare «faire don, offrir», le nom est a contrario du merci mercantile un don (doron, «cadeau») humain.
Dérivé de son acception du Xe siècle, à savoir «faire grâce, laisser la vie à un pécheur condamné à mort», le pardon est ce qui permet de «rétablir le lien» qui a été brisé entre deux hommes. Une signification qui n’est pas sans trouver ses origines dans le lexique catholique. Le pardon y étant à la fois l’expression de «l’indulgence» et de la «foi» chrétienne: Dieu ayant envoyé le Christ mourir à la croix sur Terre afin d’obtenir la rédemption de l’Homme.
La notion d’excuse sous-jacente au terme «pardon» est quant à elle apparue aux environs du XIIe siècle et plus intensément au milieu du XVIe siècle dans la formule de politesse solennelle «je vous demande pardon». Jusqu’à cette période-ci, le pardon fera surtout référence à la fête des indulgences. Une célébration durant laquelle le pécheur devait faire preuve de sa foi afin de se racheter une conscience.
Outre ces deux acceptions communes, le mot «pardon» exprimé pour «faire répéter ce que l’on a mal entendu», indique le CNRTL, apparaîtra quant à lui à l’aube du XXe siècle.
Être sans pardon c’est donc non seulement faire preuve d’«immoralité», mais c’est si l’on se réfère à l’un des autres sens du substantif masculin «être impitoyable». Bernanos écrira ainsi dans son Monsieur Ouine: «La haine qu’on se porte à soi-même est probablement celle entre toutes pour laquelle il n’est pas de pardon!»

● L’excuse honnête
La belle excuse! Curieux mot que celui-ci. Emprunté au latin excusare «justifier, disculper», le terme issu du lexique du droit pénal est une manière au XIVe siècle d’alléguer son innocence. L’employer c’est signifier à votre locuteur votre situation juridique. Aussi, par extension «être sans excuse», c’est être coupable.
Chercher ses paroles, faire de grands gestes, hausser le ton… sont autant de caractéristiques que l’on retrouve lorsqu’il est question de se dédouaner. À chacun sa technique: «offrir des excuses», «écrire ou présenter des excuses»… Multiplier ses raisons, jusqu’à en répéter son plaidoyer, puis se «confondre en excuses». Le dictionnaire offre pléthore de locutions. De quoi ne jamais pouvoir être fautif… ou presque.
L’expression «je m’excuse» est en effet une faute courante. Comme le précise l’Académie française, l’excuse n’est pas un fait acquis et rechercher son propre pardon est impoli voire abject. «C’est la personne offensée qui excuse ou non celui qui l’a offensée.» Aussi, pour être plus correct et ici «honnête», faut-il dire «Excusez-moi» ou «Je vous prie de m’excuser».
On précisera tout de même que le verbe «s’excuser» peut s’employer dans le sens de «présenter ses excuses» et qu’il peut être par conséquent correct de continuer à l’utiliser. Reste qu’en certaines circonstances, pour éviter d’être inconvenant, il sera préférable de suivre les paroles des sages.

● S’il vous fait plaisir
En miroir de la locution «Je m’excuse», l’expression «s’il vous plaît» est une demande que l’on fait à son interlocuteur. Elle ne peut en aucun cas être exigée… ou seulement si après avoir tenu la porte du métro à un usager ce dernier refuse de vous rendre l’amabilité.
Issu du verbe latin placire «plaire» et née à la fin du XIIe siècle en France selon Le Robert, la formule de politesse est donc une manière de développer l’altruisme de votre interlocuteur, tout en lui laissant le choix de vous aider, la possibilité de lui montrer son importance.
Parfois exprimée sous la forme «siouplaît», l’expression peut également apparaître en abrégé «stp», «steup», «svp»… Mais, qu’importe son écriture, du moment que la demande est énoncée. Après tout comme le disait La Rochefoucauld: «On ne plaît pas longtemps quand on n’a que d’une sorte d’esprit.»

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