Guy Ribes, faussaire de génie!

Picasso, Renoir, Van Gogh, Utrillo, Bonnard, Vlaminck, Dali… Il sait tout (contre)faire. Pendant des années, dans l’ombre, il a réalisé des œuvres en toute illégalité. Du grand art. Mais il s’est fait pincer. Et a changé de vie.

(…) Il a grandi parmi les voyous de la ­région lyonnaise. Et chez les jésuites de Roanne. « C’est le père Berger qui, le premier, m’a mis un crayon dans les mains. Je devais avoir 7 ans. » Il se revoit tracer des ronds et des carrés pour assouplir sa main. Cette main qui réussira, des années plus tard, à moduler son geste pour exécuter n’importe quelle œuvre : cubiste, surréaliste, impressionniste, fauve… Sans parler des signatures, qu’il vous griffonne d’un mouvement sûr. A l’adolescence, sa mère, intuitive, le pousse dans un atelier de dessin sur soie. Il apprend la précision et la discipline. Discerner les infimes nuances de couleur, s’inspirer des délicats tableaux floraux du XIXe siècle, des ­gravures animalières du XVIIIe. « J’ai ­dessiné des foulards Hermès… » Si les soyeux lyonnais se sont forgé une réputation mondiale, Ribes y a mis du sien.

Puis il a commencé à « peindre pour le milieu », ses copains de la rue. Il a croisé les plus redoutables en commençant par exécuter un portrait d’une dame, en se basant sur une petite photo, la mère de Mémé Guérini ! Grâce aux Corses, ­« l’artiste » a pu décorer les cabarets de Lyon qui leur appartenaient !
Ainsi, de rencontres bénies en occasions soigneusement préparées, il a appris le vrai travail de faussaire avec Henri Guillard, imprimeur de lithographies, ­rencontré autour de 1984. Ce petit homme ­pétillant, encyclopédie de l’art, avait un don d’observation fabuleux, connaissait des anecdotes sur chaque artiste. C’est pour lui que Guy réalise son premier ­Chagall. « Mauvais. »

(…) Les plus grands marchands, les conservateurs les plus érudits se laissent charmer par son talent. Il évoque tel vrai tableau « avec 160 personnages » qu’il a vendu à un conservateur pour son musée. « Puis j’ai eu l’idée d’en faire moi-même le dessin préparatoire ! Ça m’a pris un an. Je rappelle le conservateur. Ça l’intéresse. Il me l’a acheté. J’ai lu dans son regard : “Je sais que c’est un faux, mais il est ­tellement beau que je le prends !” Je connais des musées qui ont des trucs à moi ! » Il évoque un ­Picasso qui circule en double sur le marché…

Chagall, Dali, Picasso, mais aussi ­Matisse, Renoir, Modigliani, Dufy, ­Vlaminck, Laurencin, Léger, Foujita, Van Dongen, Bonnard… Guy les a tous contrefaits.
(…) Sa spécialité secrète aurait pu durer encore des années… « Mais après la mort d’Henri et de Léon, j’ai eu affaire à des abrutis qui ne recherchaient que le fric. C’est devenu de la grosse cavalerie. Quand un expert n’authentifiait pas une de mes toiles, ces cons la vendaient quand même. » Impensable avec les anciens qui avaient l’amour du travail bien fait.

Quand il est débusqué en 2005, il ­accepte, pour ne pas aller en prison, de coopérer – un peu – avec la police : « Régulièrement, le commandant Marten me demandait d’identifier mes tableaux dans les catalogues d’importantes ventes aux enchères. »
Son procès, en 2011, ressemble à un vernissage mondain. « Pendant les pauses, les avocats déambulaient devant les tableaux : “Je préfère celui-ci”, “Moi, celui-là”, Il ne manquait que le champagne ! »

Guy en sort ruiné. « Ils m’ont tout saisi. » En 2012, le cinéaste Gilles ­Bourdos cherche un artiste pour réaliser son film sur Renoir, avec Michel Bouquet dans le rôle principal. Le réalisateur fait passer un casting à des dizaines de faussaires. En vain. Désespéré, il tombe enfin sur ce maestro à la touche magique. « J’ai ­exécuté 280 dessins de Renoir pour le film. Beaucoup d’inachevés, pour des ­séquences précises. « Les baigneuses », je les ai faites plus de trente fois ! A la fin, je les ai tous finis. La production a décidé alors d’aller les vendre en galerie à New York. Je n’ai même pas été invité ! » Il garde le plaisir d’avoir guidé la main de Michel Bouquet qui apprenait avec lui à « suivre la goutte de peinture qui coule ». Les ­petits Renoir, qu’il a gardés dans une vitrine, sont à couper le souffle.

Flatté, amusé, Guy Ribes est maintenant passé à autre chose. Il peint pour lui-même. Et signe de son nom. A la manière d’un pointilliste, par exemple, qu’on verrait bien dans une galerie de l’avenue Matignon. Ou un grand classique de la Renaissance, peint pour un richissime Anglais qui lui a passé ­commande. « Un an de boulot. » L’œuvre est une merveille de délicatesse, de contre-jour, de douceur et de précision.

(…) Il a été très riche, en a fait profiter ses amis et surtout ses amantes. On perçoit le charme qu’il devait exercer sur les grandes bourgeoises et autres épouses de collectionneur avec lesquelles il a fait un bout de chemin : « Les femmes m’ont toujours poussé vers le haut. » Cultivé, direct et plein d’humour, il a souvent été invité à résider chez des milliardaires. « Quand je comprenais que j’étais devenu le singe savant, je pliais bagage. »

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“Pendant dix ans, j’avais travaillé pour une équipe qui utilisait mes talents de faussaire pour réaliser de grosses arnaques. Les tableaux partaient de mon atelier pour finir, au bout de la chaîne, chez des collectionneurs dupés, voire en salle des ventes chez Drouot ou Sotheby’s. Cela ne pouvait que mal finir. Et ce n’était encore que la partie émergée de l’iceberg : durant près de trente ans, j’avais glissé mon style dans celui des autres. Mes mains et mes yeux avaient été ceux de Picasso, Renoir, Matisse ou encore Dali, par-delà leur mort. J’avais appris à dessiner comme eux, au point d’en oublier ma propre peinture et de me perdre dans les labyrinthes du faux. Je ne savais plus qui j’étais.

Enfin, j’allais pouvoir redevenir moi-même, oublier l’altitude des grands maîtres pour mieux retomber sur mes pieds. Je suis vraiment devenu peintre le jour de mon arrestation. […] J’en suis rapidement venu à la conclusion que si les flics étaient si nombreux à fouiller mon domicile, c’est qu’ils n’étaient pas là pour rigoler. Ils y mettaient les moyens, cela n’avait rien d’une arrestation au hasard. Je commençais donc à envisager les conséquences, à imaginer ce qui m’attendait. J’avais déjà connu, à d’autres occasions, la garde à vue, la moulinette des interrogatoires, l’instruction, la prison… Mais à ce moment-là, j’ai compris qu’il s’agissait de bien plus que tout cela. Ce qui se dessinait devant mes yeux, c’était un véritable changement de vie. Tout s’achevait. Et tout allait pouvoir enfin recommencer. […] Quelques années plus tard, un flic sans imagination a dit dans une interview au sujet de mon affaire que j’étais “le faussaire de la décennie”. Je préfère retenir ce qu’a dit l’expert artistique Gilles Perrault lors de mon procès : “Si Picasso était ­vivant, il l’embaucherait.””

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