Par Jean-Claude Rolinat*
Dans un fracas d’enfer, deux chasseurs F-18 frappés des cocardes blanc-bleu-blanc s’arrachent de la piste du petit aéroport de Rovaniemi que l’Ilmavomat (1) partage avec l’aviation civile. Et les décollages s’enchaînent… C’est que la Finlande vient d’organiser de grandes manœuvres dans le Nord, avec la participation de 5 000 hommes (soit environ un peu plus du quart des effectifs totaux de son armée, une armée très richement dotée en matériels modernes). Plus au nord, à Sodankyla où l’on peut visiter une petite église luthérienne datant du XVIIe siècle aux structures tout en bois, des camions et des chenillettes articulées BV-206, « la bonne à tout faire », rejoignent la caserne de la brigade de chasseurs, les fameux « Jaegers ». Dans la coopération militaire avec la Suède, la Finlande fournit des blindés à roues de type Sisu Patria, l’équivalent moderne de nos VAB, tandis que la première fournit ses BV-206 articulés, aptes à presque tous les terrains de ces régions désolées (2).
Une économie anémiée
Rovaniemi, capitale d’une Laponie finlandaise qui ne compte que 183 000 habitants pour 100 367 km², (30 % du territoire national, un peu moins d’un cinquième de la France), n’a pas un charme particulier. C’est une ville qui a été entièrement détruite en 1944 lors de la « Guerre de retournement » lorsque les Finlandais, jusque-là alliés des Allemands, durent les chasser du pays sous la pression du rouleau compresseur soviétique. Rebâtie sur des plans d’Alvar Aalto, célébrité nationale et internationale dans les domaines de l’urbanisme et de l’architecture, ses rues sont bordées d’immeubles impersonnels qui dessineraient, sur le plan, des bois de rennes ! Pour ma part, je n’avais pas à imaginer cette configuration, étant plutôt attentif à la circulation irriguant des voies se coupant bien souvent à angle droit. La ville ne vaut que pour sa topographie, située à la confluence de deux rivières, l’Ounasjoki et le Kemijoki. Hier et jadis, leurs eaux charriaient de grands trains de bois. Aujourd’hui, si cette activité perdure toujours, la route et le rail ont pris le relais. Mais l’industrie du bois, un secteur important de l’économie finlandaise, est aussi touchée par la crise : la production de papier est mise en danger, notamment par la chute mondiale des ventes de journaux ! D’ailleurs, la Finlande, qui fut le bon élève de l’Union Européenne, a, comme la France, une dette publique trop forte (60 % du PIB), menaçant sa notation « triple A » par les agences financières mondialistes. Au début des années 2000, la firme Nokia, mondialement connue, était la vitrine et la locomotive de la technologie du pays. Mais le ratage en 2013 par la société de la « révolution dusmartphone », a plombé Nokia, rachetée par le géant US Microsoft. Le chômage est en hausse (8,5 % en 2014). Quant au PIB, il ne devrait progresser cette année que de 0,2 %. L’immigration, 5 % environ de la population, est quasi absente dans ces régions septentrionales. Elle a cependant donné des ailes au Parti des Vrais Finlandaisdont le sigle, PS, peut surprendre plus d’un Français ! Mais aux dernières élections européennes, il a reculé de six points au bénéfice des conservateurs du KoKoomus(23 %), en hausse de trois points par rapport aux législatives de 2011. Emmené par son nouveau président, Jyrki Katainen – un jeune et populaire polyglotte d’une quarantaine d’années, marié à une Anglaise, accessoirement golfeur de talent –, il devrait conserver la primature d’une coalition paradoxale, à l’allemande, associant sociaux-démocrates et conservateurs.
Il ne faudrait surtout pas quitter Rovaniemi sans avoir visité le centre Pilke où de charmantes petites têtes, vraiment blondes celles-là, s’évertuent grâce à d’originaux jeux interactifs, à tout savoir sur le bois, son exploitation et sa destination quotidienne. Autre lieu incontournable, Artikum, site culturel et architectural d’une grande et simple beauté, surplombant la route 79 qui mène à Kittila, Levi et Sirkka, stations de sports d’hiver. Avec sa verrière s’étendant sur 150 mètres de long, qui distribue de nombreuses salles situées sur deux niveaux consacrées à la Laponie et au milieu arctique en général – faune, flore, populations, modes de vie – ce musée fait appel à toute la scénographie moderne, sans oublier des expositions statiques ou des projections.
Une excitante sensation de solitude
Kittila et son aéroport gardé par un chasseur de fabrication suédoise Saab Draken en exposition statique, est la porte d’entrée d’une Laponie magique qui attire chaque hiver des milliers et des milliers de touristes impatients de fouler une neige immaculée, en raquettes, à ski, en traîneaux , à moto-neige, cette dernière machine bien vite remplacée l’été par des quads. Pour l’heure, tout début juin, quelques lambeaux de neige transformés en blocs de glace subsistent ici ou là. A Levi, importante station de sports d’hiver où les remonte-pente sont inertes en cette saison, des rennes en liberté errent à travers des parkings quasi déserts. La Laponie est alors, en cette fin de printemps et au tout début de l’été, sans vacanciers locaux ni… moustiques. Elle est totalement pour vous ! Les hôtels, les logs-cabins sont à votre disposition sans souci, les routes sont libres. Pins, sapins, bouleaux, mélèzes se succèdent au bord des chemins, sur les rives des lacs, jusqu’à la toundra à la végétation rare et rabougrie. Ici ou là, une ferme isolée, peinte en rouge, attire le regard du conducteur. Une certaine mélancolie se dégage de cette immense forêt sans jamais pourtant lasser. Il faut rouler phares allumés en plein jour – mais en cette saison le jour dure 24 h ! – ne pas se laisser surprendre par quelque renne traversant nonchalamment la chaussée, admirer des lacs vides sous un ciel parfois sans nuages et écouter le… silence ! Il y a un peu du Far-West dans ce grand Nord de la Finlande, bien au-delà du cercle arctique polaire. Bien sûr la végétation diffère, encore qu’une comparaison avec certains coins des Appalaches ne soit pas exagérée, la vigne vierge en moins. Parfois, avec le thermomètre en constante ascension, je me croirais dans certaines forêts de Géorgie sans la mousse espagnole… La fluidité des routes, l’habitat dispersé ou d’improbables « Bagdad-Coffee » plantés au milieu de nulle part comme à Yllasjarvi sur la route de Kolari et de son activité sylvicole, donnent une impression de « vide », une excitante sensation de solitude. Idée renforcée par une pause « casse-croûte » au milieu de nulle part. Être dans un « ailleurs », dans un bout du monde, c’est cela, traverser la Laponie. Au parc national de Pyhatunturi, pourtant de modestes dimensions, on ira volontiers se perdre (in)volontairement dans les bois, en suivant des passerelles qui enjambent des milieux fragiles ou des marais avec l’impression, comme les Dupond(t) dans « Tintin au pays de l’or noir », d’être déjà passé au même endroit. Mais à force de patience, d’une bonne lecture des cartes ou des pancartes, avec l’aide de locaux rencontrés par hasard, on retrouve la civilisation et ses parkings ! À Saariselka, on pénètre dans le parc national Uhro Kekkonen, du nom du Président de la République qui incarna la « Finlandisation » (3). C’est le deuxième en superficie avec ses 2 550 km². Des circuits variables sont proposés, depuis des boucles de quelques kilomètres jusqu’à des treks de plusieurs journées pendant lesquels les randonneurs pourront s’abriter dans des cabanes de trappeur sommairement aménagées. Le sol est tapissé d’airelles et de lichens. Sous-bois denses ou clairsemés, collines érodées escaladées par des remonte-pentes vides pour quelques mois encore…
Des Lapons ou des « Indiens » ?
Inari (Enaré), au bord du lac de même nom, encore encombré de quelques morceaux de glace (4), est la « capitale » des 10 000 Lapons de Finlande, les Samis, dont 2 000 parlent couramment leur langue. Il en existe trois variantes : le sami d’Inari, qui n’est parlé qu’en Finlande, celui des peuples voisins en Norvège et en Suède, et le sami des Skolts, parlé également en Russie (5). Ces différents dialectes sont apparentés aux langues balto-finnoises, le finnois étant lui-même une langue classifiée comme « finno-ougrienne » (Hongrie). Sur le territoire sami – encore une ressemblance avec les États-Unis et leurs réserves indiennes autonomes – les Lapons ont le droit d’utiliser leur langue, qui a obtenu un statut officiel en 1992. Une partie de ces Samis vit toujours des activités traditionnelles, pêche, chasse, cueillette, élevage de rennes, tandis que d’autres ont rejoint le monde dit « moderne ». Le Siida, musée ethnographique, est un point de visite que l’on ne saurait manquer : des bâtiments en plein air dignes de « La petite maison dans la prairie », donnent une idée des conditions de vie de jadis de ces populations, tirant tout ou presque du renne. À deux pas, le centre culturel Sajos, une construction tout en bois, abrite le « Parlement » des Samis. Créé en 1996, ses 21 membres élus tous les quatre ans, siègent dans une très moderne salle circulaire qui fait penser à l’un de nos Conseils généraux. Leurs compétences ? Tous les sujets relatifs à la terre, à la culture, à la langue et aux coutumes de ce peuple autochtone. La solidarité transfrontalière n’est pas un vain mot, puisque les Lapons de Finlande, de Norvège et de Suède se rencontrent en Congrès tous les trois ans pour évoquer leurs problèmes communs. Ils ont le droit, sous certaines conditions, de hisser leur magnifique drapeau rouge et bleu, traversé verticalement de deux bandes verte et jaune, le tout chevauché par un cercle, symbole d’unité, alternativement rouge et bleu.
Le Père Noël est un businessman
On ne peut pas parler de la Finlande sans évoquer un personnage mythique : le Père Noël ! Business is business, les Finlandais ont exploité le filon de Santa Claus à Napapiiri, à cheval sur la ligne du cercle arctique polaire : magasins d’artisanat, bars, restaurants – il y a même un bureau de poste qui délivre un tampon officiel ! – s’agglutinent autour d’une esplanade conduisant à la maison du Père Noël et de ses lutins… Pour 25 euros, on peut se faire tirer le portrait avec le célèbre barbu, polyglotte par nécessité. Pas fou le vieux Monsieur…
Si l’on est particulièrement attiré par la faune sauvage qui, par définition, est difficilement accessible aux non-professionnels, une petite visite au zoo de Ranua s’impose. Situé à environ 80 km au sud-est de Rovaniemi sur la route 78, ouvert toute l’année, il permet d’approcher toutes les espèces vivant exclusivement en Finlande – à l’exception d’un petit peloton d’ours blancs –, gloutons, martres, lynx, loups, ours bruns, rennes, élans et oiseaux de toutes sortes. Sur des passerelles zigzaguant à travers la forêt, on découvre chaque espèce dans son vaste enclos.
A quatre heures vingt minutes de Roissy CDG, correspondance comprise à Helsinki, via deux vols sur Finnair – la compagnie aérienne la plus sûre mais au service à bord… « spartiate » –, on peut s’offrir de grands espaces, tour à tour boisés ou dénudés, une sorte de « petit Canada d’Europe ».
(*qui publiera en fin d’année, aux éditions Les Bouquins de Synthèse Nationale, une biographie du maréchal Mannerheim, « le grand homme » de la Finlande).
1. Armée de l’Air finlandaise.
2. Ces engins équipent aussi nos chasseurs alpins.
3. Doctrine de la neutralité entre les deux blocs Est-Ouest durant la « Guerre froide ». En réalité, obligation pour la Finlande de s’aligner plus ou moins sur l’URSS en échange d’une totale liberté à l’intérieur de ses frontières et de la non-occupation de son territoire.
4. En Laponie, on dit qu’il y a huit saisons et non quatre ! La charnière entre printemps et été laisse encore quelques surprises.
5. À l’issue de la guerre russo-finlandaise (1940-1944), 500 Lapons russes, les Skolts, orthodoxes, ont été chassés d’URSS et se sont installés à la frontière, côté finlandais, à Nellim, à l’Est d’Ivalo.