Lu ailleurs / Les Mémoires désordonnés de Dino Risi / Vidéo (Les monstres)

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Valeurs actuelles

Par Bruno de Cessole

Qui n’a gardé en mémoire les films de Dino Risi, ces joyaux de la comédie italienne des années soixante et soixante-dix, les Monstres, l’Homme aux cent visages, le Fanfaron, la Marche sur Rome, Au nom du peuple italien, Parfum de femme, où s’épanouissait le talent de ses acteurs fétiches : Nino Manfredi, Marcello Mastroianni, Ugo Tognazzi, Vittorio Gassman et Alberto Sordi ? En 2004, quatre ans avant sa mort à l’âge de 91 ans, le réalisateur publia ses Mémoires d’une vie désordonnée, qui viennent d’être traduits en français. Au vrai, ce ne sont pas des Mémoires au sens habituel du terme, sagement et décemment ordonnés, mais une succession d’instantanés, exposés selon les caprices de la mémoire, et qui surgissent comme d’un jeu de cartes que l’on bat. Avec une réjouissante franchise, Dino Risi ne se prive pas de raconter, fussent-ils à son désavantage, les épisodes les plus drolatiques ou les frasques les plus divertissantes de sa vie ou de celles de ses amis et compagnons de scène, et, surtout, ne prend jamais la pose.

Pas un commentaire sur les cinquante films qu’il a réalisés, dit-il, en ayant la tête ailleurs, tournant en pilotage automatique : « J’attendais avec impatience d’avoir terminé la journée de travail pour être enfin seul avec moi-même. Je pensais à tout, sauf au film. […] À une autre histoire, d’autres endroits, d’autres acteurs. Le film que j’étais en train de tourner, je l’avais désormais métabolisé, il était fait, je le voyais déjà, il m’ennuyait, je ne voulais plus m’y attarder. » Cette sorte d’indifférence pour son travail — pas davantage Risi n’a voulu revoir ses films en cassettes ou DVD — relèverait, de l’aveu de l’auteur, de la psychanalyse si son admiration ancienne pour le Dr Freud ne s’était estompée au fil des années.

C’est grâce à la rencontre d’Alberto Lattuada, qu’au terme d’études distraites de médecine et de psychiatrie, Dino Risi devint scénariste puis réalisateur. Merveilleux métier, qui n’en était pas un, et permettait de ne pas perdre sa vie à la gagner. À sa femme, le réalisateur déclarait passer la journée à la maison avec ses deux scénaristes et, sitôt qu’elle avait le dos tourné, sortait un Baby-foot du placard jusqu’à son retour, où elle enjoignait aux enfants de ne pas troubler le besoin de concentration paternel.

Un magnifique spécimen d’égotiste, charmeur, drôle et secrètement désespéré, à l’image de ses amis Mastroianni et Gassman, dilapidant leur vie sur la scène du théâtre humain, dans le jeu, la fête et la séduction, tel apparaît Dino Risi dans cette autobiographie éclatée, à l’enseigne de l’autodérision. Au fil de la mémoire, que de sketches dignes des Monstres et des Nouveaux Monstres ! De la mort du père, occasion d’étreindre avec frénésie sa jeune et belle professeur de violon et de connaître ainsi son premier orgasme, « ce moyen délicieux de se rapprocher de Dieu », à Tognazzi s’endormant sur le sein de Romy Schneider sans avoir eu le temps, sous l’effet de quelques bouteilles de frascati, de lui prouver sa flamme…

Chemin faisant, entre rire et nostalgie, Risi sème des aphorismes désabusés — « Si tu veux te tromper, va où te porte ton coeur », « Le racisme prendra fin quand on pourra traiter un Noir de con », « Coito, ergo sum », ou encore « Avant de naître, lisez attentivement le mode d’emploi » — qui révèlent en ce maître de la comédie un esprit plus proche de Schopenhauer que de Beppe Grillo.

Mes monstres, de Dino Risi, Éditions de Fallois-L’Âge d’Homme, 256 pages, 19,50 €.

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