Il y avait une époque, il y a fort longtemps, où les sous se perdaient au fond des poches. À cette époque, la fortune pouvait s’étaler sur une table sous la forme de quelques pièces de différentes couleurs. Depuis, la monnaie est devenue virtuelle, tout devant disparaître : pièces, billets et notion de l’argent.
Dans la suite logique de cette déconnexion, Amazon vient d’ouvrir un magasin complètement automatisé à Seattle. Pas de caisse, pas de paiement à la sortie… On rentre, on prend et on ressort. Tout passe par des caméras et de capteurs qui analysent vos produits puis les mettent dans un panier virtuel que vous aurez obtenu en téléchargeant l’application liée sur votre téléphone.
Si tout cela fait gagner un temps tout relatif à chaque consommateur, cela permet surtout de perdre toute notion de dépense. Déjà, fleurissent sur les télévisions américaines des témoignages de clients, fiers de ne savoir combien ils ont dépensé : ils attendront le ticket de caisse, tout aussi virtuel, pour avoir le fin mot de l’histoire. Tout comme l’apparition des crédits à la consommation, le client doit pouvoir croire que payer est une option, que l’achat est un hobby comme un autre, qui ne mérite ni réflexion ni contrainte. À vouloir jouir sans entrave, on devient des libertins de supermarchés.
La société nous a enseigné que le temps, c’est de l’argent. Alors, on dépense moins le premier pour dépenser un peu plus du second. Caisses automatiques, paiement sans contact, magasins automatisés… Pour gagner quelques secondes, on sacrifie sans pitié des emplois. Et les personnes âgées ou isolées qui profitent de leur passage au supermarché pour parler à quelqu’un ? Personne n’entendra leurs pleurs… Ce qui ne buzze pas n’existe pas.
Si les premières études commencent à montrer l’impact des réseaux sociaux sur le sentiment de solitude, le bon sens voudrait qu’on cherche à renouer des contacts humains ; à la place, la modernité préfère scander le vivre-ensemble tout en poussant chacun à s’isoler. Chacun sa vie, chacun son portable.
Alors, bien entendu il n’est pas question d’être contre toute modernité, bien au contraire : il y a dans les avancées techniques un certain confort à trouver. Néanmoins, il faut aussi se rendre compte qu’en plus de déshumaniser la société, nous sommes en train de donner les pleins pouvoirs à quelques sociétés toutes-puissantes. Notre vie privée appartient dorénavant aux réseaux sociaux et nos économies à quelques banques qui pourront allègrement se servir.
Dieu, que me manque le bon sens paysan emporté dans la tombe par l’ancien monde !
Alexandre Durudeau – Boulevard Voltaire