Le livre s’appelle Mon corps ne vous appartient pas, et ne peut laisser indifférent aucune femme. Non pas parce qu’il s’adresse à elle – ce n’est pas très original en ce moment -, mais parce qu’il s’adresse à elle VRAIMENT, sans idéologie, angle mort, ni parti pris. Il s’adresse à elle dans toute son acception, dans toute son incarnation, aujourd’hui dépréciée et laissée dans l’ombre par les « nouveaux pudibonds », comme les appelle l’auteur Marianne Durano, normalienne, agrégée de philo, mère de deux jeunes enfants.
« Écrire ce livre, c’était relier ma tête à mon utérus », lâche-t-elle en préambule. Et c’est ce lien qui fait la force du bouquin : un pied dans la vraie vie et même dans l’intimité féminine sans fard – car l’auteur a le verbe « cash » -, et un autre dans la philosophie. Et ce que la femme ordinaire sent confusément, Marianne Durano le sent aussi, mais l’exprime, le conceptualise, le décrypte. Rien ne la destinait, pourtant, à dénoncer le « féminisme technolâtre », sa « Sainte Trinité » – « contraception, avortement et PMA » – et tout son dogme sacré : « Élevée dans une famille athée, encouragée dans mes études, le sexe n’a jamais été pour moi un problème : les tracts, les séances d’éducation sexuelle, les teen movies, le Guide du Zizi sexuel : j’ai eu droit à tout. À 16 ans, j’ai pris la pilule », rien sauf une grande exigence intellectuelle qui ne pouvait accepter cette schizophrénie forcée, et l’a conduite à réexplorer tous les présupposés imposés à sa génération.
Ceux-ci commencent « à l’ombre des jeunes filles en pleurs », envoyées bon gré mal gré, dès 12 ans, en rangs serrés – et tant pis si elles en ressortent traumatisées – chez le gynéco, comme on envoie des bataillons de petits soldats au dispensaire militaire pour être vaccinés et déclarés bons pour le service. Pour le service d’une sexualité précoce et vagabonde : « Pour se dispenser d’avoir à modifier les comportements des jeunes hommes à l’égard des jeunes femmes, on préfère prendre en charge techniquement les risques qu’ils leur font courir » : « il est plus facile de prescrire des pilules et de programmer des IVG plutôt que de travailler à ce que les relations amoureuses soient plus respectueuses et amoureuses du corps et du rythme des jeunes filles ». « Plus facile de distribuer des capotes plutôt que de promouvoir la fidélité ».
Puis vient le temps la grossesse, outrageusement médicalisée – « La jeune fille est encouragée dès l’adolescence à considérer son corps comme une menace sanitaire, pourquoi en serait-il autrement lorsque l’enfant devient mère à son tour ? » -, puis celui de la maternité, que l’on essaie d’évacuer autant que faire se peut du monde du travail, comme si l’on pouvait la poser à côté, dans un petit coin et essayer de ne plus y penser : Marianne Durano propose avec justesse « une économie respectueuse des équilibres familiaux, passant par nouvelle géographie de l’emploi, qui rétablisse l’unité entre lieux de vie et lieux d’activité », rappelant que cette dissociation, nouvelle à l’échelle de l’Histoire, était liée à l’usine.
Elle compare, non sans une malicieuse provocation – car l’on y retrouve le cauchemar prémonitoire d’Élisabeth Badinter, qui prophétisait il y a quelques années, le débarquement de l’écologie dans la chambre à coucher – l’agroécologie et la régulation naturelle des naissances, la femme et le maraîcher en permaculture, qui « se passe de toute machinerie onéreuse, puisqu’il fonde sa pratique sur des dynamiques naturelles ».
Le féminisme de Simone de Beauvoir, sciemment amputé de la réalité charnelle qui lui était pourtant consubstantielle, ne pouvait, comme un attelage bancal, que finir par échouer dans une impasse. Marianne Durano vient remettre tranquillement, avec la force que donne une logique imparable, la pièce maîtresse dans le puzzle. Préalable indispensable en même temps qu’arme redoutable pour combattre la PMA – GPA.