Dans l’Orléanais, le réveillon avait des mets et des chants traditionnels ; le porc composait le menu de ce festin. C’était sous toutes les formes et par parties que la victime était servie sur la table. Partout son sang apparaissait sous la forme de boudin succulent, et sa chair hachée sous celle de crépinettes, sorte de saucisses longues qui, dans certaines communautés, étaient servies à chaque personne, dès le retour de la Messe de minuit. La fin du repas était égayée par le chant de Noëls locaux.
Dans les familles angevines, il était d’usage, à Noël, de tuer un des porcs mis à l’engrais. Dès le matin, le boucher, accompagné de ses valets, se rendait à domicile et, après avoir saigné, épilé le porc, puis taillé sa chair, se mettait à faire force saucisses et boudins, car il fallait en envoyer à tous les parents et amis. Le soir arrivé, une grande chaudière d’airain était posée sur le feu. Cette chaudière était remplie de la chair du porc coupée en petits morceaux et destinés à faire des rilleaux. Le chef de la famille se signait, jetait de l’eau bénite sur le feu, puis plaçait dans la chaudière trois mesures de sel.
A l’aube du jour, les rilleaux étaient cuits, et alors on se délassait, dans ce gai repas, des veilles de la nuit. Le Bulletin historique et monumental de l’Anjou nous révèle qu’ensuite on partait pour l’église paroissiale, en emportant sur un large plateau un magnifique jambon couvert de verdure. Ce jambon était déposé devant le maître-autel. Un prêtre, en habit de chœur, venait le bénir et prononçait une prière consacrée à cette cérémonie, prière qu’on retrouve encore dans nos anciens rituels du Moyen Age. Après la bénédiction, le jambon était reporté à la maison et suspendu dans l’âtre de la cheminée ; il y restait jusqu’à Pâques. Ce jour-là, il était décroché et mis sur la table autour de laquelle la famille venait s’asseoir et rompait avec cette viande bénite l’abstinence du Carême.
Dans le Rouergue (Aveyron), tout en se chauffant autour du souquo naudolengo (bûche de Noël) qui flambe, on réveillonne avec un bon morceau de saucisse, cuite à point par les soins de la ménagère, ou, à défaut de saucisse, on se régale tout bonnement d’un morceau de porc salé, conservé depuis le carnaval passé. Et, comme dessert, une rissole aux prunes ou aux pommes bien chaude et bien dorée.
Le jour de Noël est un jour de grande liesse ; c’est le maître, « le bourgeois » qui « régale » la famille et les domestiques. C’est à lui qu’incombe le soin de tout disposer, car c’est, ce jour-là, la fête des petits, des humbles, des serviteurs ; le maître « paie » à toute la maisonnée. Mais, en revanche, le jour des Rois sera sa fête à lui. A leur tour, les domestiques paieront ou seront censés payer, et ce soir-là encore, il y aura grande liesse dans la ferme, éclairée autant par le grand feu de la cheminée que par la lampe du plafond.
En Poitou, Lucas Le Moygne, curé de Notre-Dame de la Garde (Poitiers), a composé un nouël où il est raconté quel réveillon on faisait, après la Messe de minuit :
Conditor, le jour de Noël,
Fit un banquet non pareil
Qui fut faict, passé v’là longtemps,
Et si le fit à tous venans.
Suit le menu : « perdrix, chapons, oiseaux sauvages, hérons, levrauts, congnilz, faisans, sangliers, lymaces au chaudumé », voilà pour les plats de résistance. Pour le dessert : la pâtisserie, « les fouaces », les crasemuseaux, gâteaux secs, pains de chapitre, échaudés pour les mauvaises dents… avec du vin.
… de l’Ypocras,
Vin carapy et faye Montjeau,
Pour enluminer tout museau
Nouël !
Il y vint même un bouteillier
Qui onc ne cessa de verser
Tant que un quartault il assécha
In sempiterna secula.
A défaut du petit vin clairet de Poitiers, on avait « de derrière les fagots » quelque réserve, en cachette, « de pomme sans iau » ou « de poiré doulcereux » pour arroser chansons qui ne tarissaient guère.
Dans les Hautes-Alpes, Noël est le grand jour de réunion familiale. Au marché qui précède la fête, les femmes se pourvoient d’une bougie par ménage, car, le soir de Noël, on ne s’éclaire ni avec le bouillon-blanc trempé dans l’huile, ni avec le bois résineux qui sert là de lumière. Il est de coutume de manger, après la Messe de minuit, des soupes de pâté qu’on appelle sazanes ou creusets. Le chef de la famille prend le premier un verre plein de vin et porte la santé de tous les siens ; le verre passe ensuite de main en main, la même santé se répète et, à la fin du repas, chacun à son tour y boit à ceux des membres de la famille que la nécessité retient absents.
Dans le Var, après la Messe de minuit, les tourtes, gros gâteaux ronds faits avec du miel, de la farine, de la confiture, de l’huile, dérident tous les fronts.
En Armagnac. Devant la souche de Noël, en partant à la Messe de minuit, on laisse « mijoter » le pot de la daube, qui est la base du réveillon. La daube est un plat national et bien gascon : elle se compose d’un morceau de bœuf cuit dans une sauce noire, faite avec du vin rouge et force condiments. On ne comprendrait pas, en Armagnac, un dîner de Noël sans la daube. Les familles les plus pauvres se paient ce luxe gastronomique, et si leur misère était trop grande pour pouvoir se donner ce régal, de charitables voisins se font un devoir de le leur procurer. Le réveillon se complète avec de longs morceaux de saucisses cuites sur le gril, toujours avec les charbons de la souche. On termine par les châtaignes grillées, arrosées de vin nouveau.
Dans notre beau Béarn, tout se passait très simplement : les amis se réunissaient, on chantait des Noëls béarnais, en attendant la Messe de minuit. On nous faisait rôtir des marrons et on nous faisait boire de cet excellent vin blanc qu’aimait tant le bon Henri (Henri IV, le Béarnais) ; seulement on nous le donnait à très petite dose, car il porte. Puis on nous mettait au dodo, en nous promettant de nous réveiller au moment voulu… Et le lendemain grand désespoir de n’avoir pas été réveillé à temps, mais le tour était joué. « Et l’on nous menait voir le petit Jésus dans sa Crèche, où nous lui promettions d’être sages. Ceci se passait dans ma petite enfance, il y a trois quarts de siècle ».
Dans les montagnes du Gévaudan (Lozère), on arrive à trois heures du matin de la Messe de minuit. On prend un air de feu et on se met à table. Depuis des siècles, le menu est toujours le même : oreille de porc, riz au lait, saucisse, fromage. Le tout était jadis arrosé de Vivarais, vrai nectar que les vieux seuls ont connu. Aujourd’hui, c’est le Languedoc qui figure à la table de nos montagnards.
En Corse, dans les familles pauvres, on mange, au réveillon, la traditionnelle polenta (bouillie de farine de châtaignes ou de maïs), avec des tranches de porc tué exprès la veille.
Dans le pays bizontin, on prend, au retour de la Messe de minuit, un peu de vin chaud, avec une petite tranche de pain, c’est la « mouillotte ». Pour la journée de Noël, on fait une grande fournée de gâteaux. Jadis, en montagne, quand on mangeait habituellement le pain d’avoine et d’orge, on préparait, pour Noël, des pains d’orge mélangée d’un peu de froment : chacun avait sa michotte. La mère de famille avait soin d’en faire une de plus pour le premier pauvre qui passait : on l’appelait la « pâ Dé » (la part à Dieu).
Dans les campagnes du pays de Caux (Seine-Maritime), le réveillon est réduit aux plus modestes proportions. Pendant que, dans l’âtre, se consume la traditionnelle bûche de Noël, on se contente d’un frugal repas où figure parfois, chez les pauvres, une « fricassée » d’oiseaux pris, le soir à la « soutarde » ; on termine aussi quelquefois par une tasse de « flippe », boisson chaude et composée de cidre doux, d’eau-de-vie et de sucre réduits au feu.
En Alsace, le réveillon se fait avec des saucisses, des jambons, des boudins arrosés de vin blanc. C’est le Kuttelschrnauss.
Dans nos provinces méridionales, il n’était pas de fête, en Languedoc et en Béarn, où l’antique gardien du Capitole ne figurât à la place d’honneur : on faisait une consommation considérable d’oies grasses. Le plus souvent, le réveillon se composait d’une bonne soupe aux choux, dont la marmite avait été enterrée sous la cendre, avant le départ pour la Messe de minuit, d’une oie rôtie, d’une saucisse fraîche et d’un pâté de foie gras.
Le jour de Noël, M. de Talleyrand avait l’habitude de servir à ses invités l’oie traditionnelle dont il avait lui-même imaginé la recette. Vous plaît-il de la connaître ? « Foncez une casserole de bandes de lard et de tranches de jambon. Veuillez ajouter quelques oignons piqués de clous de girofle, une gousse d’ail, un peu de thym et de laurier. Sur ce matelas parfumé, posez une oie grassouillette, bien jeune, bien tendre, soigneusement farcie de son foie et de crêtes de coq ; arrosez généreusement de sauternes, semez une pincée légère de muscade, et laissez tomber quelques gouttes d’orange amère. Couvrez enfin de papier beurré et, feu dessus, feu dessous, faites partir ».
L’oie de Noël est bien un vrai rôti de fête ! Tandis que les cloches égrènent dans le ciel leurs joyeux carillons, que le boudin fume et crie sur le gril, que les marrons pétillent sous la cendre, que les gâteaux de famille profilent leur coupole feuilletée, l’oie fumante est placée au milieu de la table, aux applaudissements des convives. De ses flancs embaumés s’échappent bientôt de succulents marrons : les enfants tendent leur assiette en criant : Noël ! Noël ! Et la douce voix des cloches semble leur répondre : « Réjouissez-vous, enfants, car Jésus est né », écrit Fulbert-Dumonteil.
Madame de Sévigné, dans la nuit de Noël de l’an 1677, offrit un réveillon, dans son merveilleux hôtel Carnavalet. D’après le cérémonial accoutumé, Coulange met le feu à la bûche de Noël, dans la grande cheminée Henri II. La table est garnie au centre d’un agneau tout entier. Sur l’immense dressoir, qui occupe tout un panneau de la salle, des orangers encadrent les aiguières et la vaisselle d’argent et de vermeil. Les jets d’une haute fontaine les parfument encore de l’essence des fleurs les plus odorantes et les plus variées.
Le réveillon se prolonge au milieu des huit services dont la simple énumération, en sa consistance abondante et variée, suffirait à soulever d’effroi les estomacs de notre temps. Qu’il nous suffise d’indiquer qu’après les soupes, les entrées, les deux services de rôtis, gros et menu gibier, le service des poissons : saumon, truite et carpe, parurent deux énormes buissons d’écrevisses flanqués de quatre tortues dans leur écaille. Au sixième service, on en était encore aux légumes : cardons et céleris, et le huitième service termina le repas par les amandes fraîches et les noix confites, les confitures sèches et liquides, les massepains, les biscuits glacés, les pastilles et les dragées. Les meilleurs crus de Bourgogne et des côtes du Rhône avaient arrosé les divers services dit repas, le muscat de Languedoc restant réservé aux babioles du dessert.
A Paris, en 1912, le réveillon est plus à la mode que jamais, et la statistique serait impuissante à établir la quantité de boudin grillé qui se consomme, pendant la nuit du 24 au 25 décembre, dans la grande capitale. Plus que toute autre ville, Paris subit l’influence des coutumes étrangères. Il a pris à l’Angleterre les joies gastronomiques du Christmas, à l’Allemagne son arbre de Noël si charmant et si poétique. C’est seulement dans les quartiers paisibles du Marais et de l’île Saint-Louis, loin des rues grondantes de la grande ville, où les chaudes rôtisseries, les charcuteries enrubannées toutes grandes ouvertes, les cafés et les restaurants illuminés offrent jusqu’au matin l’odeur et le flamboiement d’un immense festin ; c’est dans ce paris ignoré qu’il serait possible de retrouver quelques traces des vieux usages de nos pères.